Harry Potter : une interview de Michael O'Brien (3)
S. J. — Pourquoi tant de critiques disent-ils donc : « Ce n’est que du divertissement, ce n’est qu’un film, pourquoi prenez vous cela tellement au sérieux ? »
M. O'B.— Cet argument, lui aussi, désigne l’existence d’un problème plus profond. Sans vraiment savoir comment nous en sommes arrivés là, nous avons créé une coupure artificielle entre le divertissement et la foi – entre la culture et la foi, en d’autres termes. Nous disons : « Je suis un catholique (ou un chrétien) doctrinalement correct, je ne conteste aucun enseignement de l’Eglise. Alors, si je veux regarder des vidéos, des DVD, des programmes télévisés qui violent ces principes, je suis capable de me concentrer sur le bien et de passer outre le mal. » Il va de soi que nous devons rechercher le bien en toute chose et que nous ne devrions pas toujours chercher ce qu’il y a de mal autour de nous. Mais lorsque notre consommation devient un appétit insatiable, où les composantes mauvaises, les mensonges et la « glamorisation » d’activités mauvaises constituent une matière grave – et certainement, la sorcellerie et la magie sont d’une gravité extrême en termes de violation de l’ordre divin – nous devrions nous arrêter pour réfléchir et dire : « Le jeu en vaut-il la chandelle ? Puis-je vraiment absorber ces quantités de mal sans en être affecté ? »
Eh bien, en tant qu’adulte vous le pouvez peut-être, mais vos enfants ? La perception de vos enfants est en train de s’éveiller, spécialement lorsqu’il sont jeunes. La perception, la manière dont on perçoit le monde, a d’importants effets sur la manière dont vous formerez votre conscience ; et bien entendu, votre conscience va affecter la manière dont vous allez choisir entre le bien et le mal dans le domaine de l’action.
S. J. — L’intensité des réactions dont vous avez été l’objet au cours de ces années semblent confirmer ce que vous dites, que la question va plus loin. Pouvez-vous donner des exemples des réponses les plus mémorables qu’on vous ait adressées ?
M. O'B. — Beaucoup d’entre elles n’ont cessé de m’étonner. Je me rappelle que lorsque j’ai donné trois longues interviews sur Potter à Zenit en 2001, la réaction négative a été très importante. Un sociologue de la religion nommé Massimo Introvigne, qui était un grand défenseur de Potter, a accusé ceux qui, comme moi, étaient critiques, de pratiquer une forme nouvelle et très dangereuse de fondamentalisme. Il a affirmé que nous étions le type de gens qui pourraient faire éclore un régime catholique taliban.
Or je n’avais rien fait d’autre que de mettre en évidence les aspects problématiques de la série des Potter, sans condamner quiconque, ni d’aucune manière l’auteur, ni ceux qui permettent à leurs enfants de lire les livres. Je ne condamne pas les gens. Mais la tactique est assez habituelle qui consiste à qualifier ceux qui critiquent de censeurs, de pharisiens, d’alarmistes hystériques, de bigots, de talibans catholiques, de brûleurs de livres, de nazis, d’ennemis de la liberté, etc. Ce genre de qualificatifs utilisés pour les critiques de Potter ont été assez répandus dans les médias chrétiens.
S. J. — Avez-vous reçu du courrier chez vous, des courriels, des coups de téléphone ?
M. O'B.— Eh bien, mon adresse personnelle n’est pas visible mais je reçois tout le temps des courriels, et plus encore quand je fais paraître un article. Nombre de ces courriels sont des messages de haine.
S. J. — Lorsque vous évoquez des messages de haine, pouvez-vous les décrire plus précisément ? Qu’est-ce que cela signifie ? Que vous dit-on ?
M. O'B. — Quelques malédictions, certains laissent libre cours à leur colère, comme ce message que j’ai reçu récemment : « Harry Potter n’est pas l’Antéchrist, c’est vous qui êtes l’Antéchrist ! » A un certain niveau, les gens ont pris Harry Potter dans leur cœur comme un héros et comme le défenseur du bien, et ils se sont profondément identifiés à lui. En outre, des éléments symboliques et dramatiques cruciaux de la série le présentent comme une figure christique. Mais j’ai tendance à croire qu’à la racine de la haine irrationnelle à l’égard des critiques vient du fait que les lecteurs s’identifient personnellement à Harry. Voilà pourquoi quiconque ose critiquer cet orphelin maltraité qui est l’objet de haine de la part du mal incarné est considéré comme étant du côté de Voldemort, ou des forces voldermoresques dans le monde. Les lecteurs immatures pourraient le dire ainsi ; les lecteurs matures l’exprimeraient d’une manière plus raisonnable, plus sophistiquée, mais au bout du compte c’est la même chose.
Une sorte de loyauté viscérale féroce est en jeu, qui provoque des réactions intenses dès lors qu’elle est mise en cause. Que cela nous apprend-il sur nous-mêmes, en tant que catholiques ? Sommes-nous incapables désormais de nous examiner et de nous critiquer nous-mêmes ? Le peuple de Dieu est-il aujourd’hui si facilement manipulable, si charmé pourrais-je dire, que nous sommes devenus incapables de résister à l’esprit du monde ? Avons-nous confondu l’assimilation par le paganisme et l’authentique inculturation ?
© leblogdejeannesmits pour la traduction.
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