Retour sur Harry Potter (2)
J'ai commencé hier la publication d'une très intéressante interview exclusive de l’auteur catholique bien connu, Michael O’Brien (auteur de Père Elijah
) publiée par LifeSite, il y a quelques jours. Elle revient sur le phénomène Harry Potter à l’occasion de la sortie du film qui clôt l’adaptation cinématographique des sept volumes de la série. O'Brien a consacré un livre au phénomène et a réitéré ses critiques ces jours-ci, et s’est trouvé – comme tous ceux qui osent dénoncer les dangers de la série – sous le feu roulant des critiques. Il répond ici aux objections qu’on lui oppose. Je remercie LifeSite pour l’autorisation de traduire et de présenter cette interview au public francophone à travers mon blog. Les propos de Michael O’Brien ont été recueillis par Steve Jalsevac. Le premier épisode a paru ici.
S. J. — Par rapport aux différents types de littérature enfantine que vous avez critiqués, j’ai cru comprendre que les réactions les plus fortes que vous ayez suscitées, et de loin, ont répondu à vos écrits et vos commentaires sur la série des Harry Potter. Est-ce exact ?
M. O'B.— Comme un raz-de-marée !
S. J. — Parlez-nous en.
M. O'B.— Cela fait plus de dix ans que j’écris des critiques de la série des Harry Potter. Ces critiques sont fondées sur mes recherches antérieures sur ce qui se passe dans le cœur et l’esprit et l’imagination d’un enfant lorsqu’il lit de la bonne littérature, à l’inverse de ce qui se passe pour la littérature qui corrompt.
Je savais bien qu’il y aurait quelque opposition à propos de la série des Potter entre gens religieux et ceux qui ont une tournure d’esprit laïcisée – c’était inévitable – mais ce qui m’a ébahi, et continue de m’ébahir, c’est la forte controverse qui s’est fait jour très rapidement parmi les chrétiens eux-mêmes, dans toutes les Eglises. Elle traverse toutes les lignes de partage entre différentes dénominations chrétiennes. On note une caractéristique universelle dans la manière de défendre Potter : c’est la colère véhémente.
Je connais quelque huit critiques différents de la série qui écrivent soit des livres soit des articles de presse sur le sujet. Ce sont tous des gens équilibrés – je ne parle pas ici d’organisateurs d’autodafés (ni de ceux qui brûlent les sorcières) – et ils font tous l’expérience de ce phénomène, que ce soit dans les cercles chrétiens, dans leur propre communauté religieuse, ou de la part de leurs amis et de leur famille. Ils sont exposés à des attaques qui les visent personnellement, qui sont parfois très irrationnelles, une sorte de réaction réflexe qui se scandalise de toute critique de Harry Potter.
Les critiques que je connais sont des gens raisonnables et calmes qui ont simplement soulevé des questions sur ce qui paraît être un objet culturel désordonné qui exerce une énorme influence. Nous avons appris que le simple fait de le remettre en question incite non seulement à la colère mais aux faux jugements à notre égard. On nous traite de « brûleurs de livres », de « fondamentalistes radicaux », d’« ennemis de la liberté » et ainsi de suite. Si je faisais la liste des qualificatifs qui m’ont été adressés au cours de ces dix dernières années, vous en ririez. C’est franchement ahurissant, et je crois que c’est le signe de problèmes plus profonds.
Harry Potter est représentatif d’une vague de révolution culturelle qui le dépasse largement et où nous sommes tous immergés, et je crois qu’il s’agit aussi d’une révolution spirituelle – une révolution spirituelle négative. Cela nous montre que nous autres chrétiens avons été si saturés par le déplacement de symboles dans notre manière de penser, dans notre imagination, alors que dans le même temps nous sommes devenus tellement accros de la culture du divertissement, que nous ne voyons plus où est le problème, sans même parler de la manière d’y résister
Peu ou prou, la culture est aujourd’hui le divertissement, tout autant parmi les chrétiens que chez les non-croyants. Nous sommes très attachés à ce qui nous procure du plaisir, spécialement à ce qui nous procure un plaisir intense, et il est extrêmement difficile de voir cela remis en question si nous manquons de liberté dans notre vie intérieure par rapport à cet attachement. Voilà la cause qui est à la racine de la colère, et c’est une réaction addictive classique. Indépendamment de l’intelligence avec laquelle on l’exprimera, il s’agit, fondamentalement, d’une loyauté irrationnelle.
S. J. — Et pourtant on présente ces réactions comme très rationnelles.
M. O'B. — Oui, comme dans toutes les addictions, la personne qui en souffre va présenter – sur un ton calme et raisonnable – de nombreux arguments qui « prouvent » pourquoi elle doit continuer de consommer ce qui la réduit en esclavage. Je concède que les mots « esclavage » et « addiction » sont probablement excessifs, mais assurément il nous faut nous demander pourquoi nous consommons, avec si peu d’auto-examen, un matériel culturel dont nous sommes venus à penser que nous ne pouvons pas nous en passer ? Pourquoi n’appliquons-nous pas une analyse normale, critique, prudentielle à quelque chose qui exerce un tel pouvoir sur nous ? Que se passe-t-il en nous pour que nous ne puissions pas le remettre en question ?
S.J. — Que se passe-t-il, alors, à votre avis ?
M. O'B. — La dynamique de l’érosion culturelle et d’une assimilation par le paganisme se produit à différents niveaux. L’homme est un être composite : nous sommes intelligence, nous sommes esprit, nous sommes un corps, nous sommes des émotions. Nous avons des appétits de toutes sortes : appétits physiques, intellectuels, émotionnels. Et si des choses comme Harry Potter, ou disons la série « Vampire » de Stephenie Meyer, ou A la croisée des mondes de Philip Pullman nous ont donné beaucoup de satisfaction intellectuelle, de plaisir, de distraction – nous pensons que cela ne peut être en aucun cas mauvais pour nous. Nous sommes capables de conserver une foi rationnelle en des ensembles doctrinaux justes tout en consommant dans le même temps des divertissements culturels qui contredisent précisément ces doctrines.
Quelque part, nous avons tiré la conclusion intuitive : « Il n’y a pas de mal là-dedans. Cela me rend heureux, cela fait que je me sens bien. » Mais le prix à payer pour ce genre de sentiment de bien-être, c’est l’ingestion d’une grande quantité de messages erronés mélangés à des messages vrais. Il y a bien des « valeurs » dans les Harry Potter, mais elles sont emmêlées avec des anti-valeurs.
Le monde de Potter est un univers moral brouillé. Il existe des symboles chrétiens dans la série, mais l’auteur les désapproprie, les fait muter, et les intègre dans un système supposé plus grand et plus large où les symboles du mal dominent. Pourquoi nos antennes ne frémissent-elles pas lorsque cela se produit ? Je crois que c’est parce que nous avons été écrasés par le poids de notre dépendance habituelle par rapport à ce plaisir. Je devrais ajouter que nous avons également été abasourdis par les nombreux faiseurs d’opinion qui nous affirment qu’il n’y a là aucun problème – même les commentateurs chrétiens.
(à suivre)
2 commentaires:
C'est vrai que je n'avais vu dans Harry Potter qu'un aimable divertissement plutôt bien écrit. Cette réflexion est très intéressante et donne des clés de décryptage de la saga. Merci de la publier.
L'auteur s'est-il lui-même appliqué ce qu'il prône lors de sa réponse à l'avant-dernière question? A-t-il lui-même remis en question sous un angle critique la foi qu'il défend? Plus largement, les cathos un peu zélés ne sont-ils pas eux-mêmes des défenseurs acharnés d'un corps doctrinal qu'ils n'ont jamais critiqué, mais ont reçu par leur éducation, qui les rassure, leur procure du plaisir, et à la défense duquel il trouvent beaucoup d'arguments donnés sur un ton très calme... Reprocher aux autres leur soumission à des préjugés c'est bien, mais il faut soi-même se remettre en permanence en question, sinon c'est préjugé contre préjugé, ça n'amène pas à grand chose. Vraiment cette réponse m'a frappé par sa parfaite transposition à une certaine conception de la foi catholique chez certains!
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