23 mai, 2011

Argentine : l'ONU condamne un refus d'avortement

Le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies a rendu récemment un avis affirmant que les droits d'une jeune handicapée de nationalité argentine ont été violés parce qu'elle n'a pas eu accès à un avortement pourtant non poursuivable, selon les « sages », aux termes de la loi de son pays. Le CDHO a estimé que l'Argentine avait violé son droit à la vie privée, et s'était rendue coupable de « torture et traitement cruel, inhumain et dégradant » pour avoir laissé s'élever des obstacles face à la demande d'avortement non punissable déposée en son nom, et pour avoir omis de lui procurer un tel avortement. Tous ces « droits » sont tirés, selon l'avis, du Pacte international pour les droits civiques et politiques de l'ONU.

Le Comité des droits de l'homme est une formation de 18 « experts indépendants » désignés par leurs pays d'origine pour connaître de la mise en œuvre de ce Pacte : il est habilité – un peu à la manière de la Cour européenne des droits de l'homme avec la Convention européenne des droits de l'homme – à connaître de différentes affaires et notamment des plaintes individuelles, comme c'était le cas ici, où la mère de la victime a porté la plainte devant l'organisme supranational. La nature juridique exacte des avis du Comité n'est pas tout à fait claire, puisqu'ils ne sont pas explicitement assortis de sanctions, mais leur poids est néanmoins non négligeable. Dans l'affaire qui nous préoccupe, l'Argentine dispose de 180 jours pour apporter au Comité la preuve qu'il a tenu compte de son avis : en l'occurrence, indemniser la victime et prendre des mesures pour que de telles situations ne se produisent plus.

De plus, le CDHO demande que l'accès aux avortements non punissables énumérés par la loi argentine ne fassent l'objet d'aucune procédure judiciaire, le médecin devant pouvoir les pratiquer de plein droit dès que les circonstances sont réunies. C'est évidemment ouvrir une large porte à l'avortement dépénalisé dans la mesure où une allégation de viol suffirait pour « justifier » l'avortement sans crainte de poursuites.

La jeune femme, désignée par les initiales LMR, aujourd'hui âgée d'environ 33 ans, a un âge mental de 8 à 10 ans. En 2006, atteinte de maux de ventre et d'autres symptômes, elle fut conduite à l'hôpital où sa grossesse fut diagnostiquée à 11 semaines. Il parut clair qu'elle avait été victime de viol ou de viols, circonstance qui pour les femmes handicapées mentales constitue une justification pour l'avortement non punissable, aux termes de l'article 86 du code pénal argentin. La mère de LMR demanda que l'avortement fût pratiqué ; on lui demanda d'abord de porter plainte contre l'auteur présumé du viol, ce qui fut fait, contre le propre oncle de la jeune fille. On la renvoya, avec sa fille, à un hôpital à 100 km de son domicile dans la province de Buenos Aires.

A cette date elle était enceinte de 14,5 semaines. Dans l'hôpital où elle fut accueillie, après réunion du comité de bioéthique, on était déjà en train de préparer l'intervention lorsqu'intervint une injonction judiciaire demandant l'arrêt du processus, la juge pour mineurs soulignant qu'il n'était pas acceptable de réparer une agression injuste (l'abus sexuel) par « une nouvelle agression injuste contre une nouvelle victime innocente, comme l'est le bébé ».

Portée devant la Cour suprême de justice de la province de Buenos Aires, cette injonction fut annulée mais l'hôpital San Martin, où la jeune fille avait été transférée, refusa désormais – à fin juillet – d'opérer vu l'état déjà avancé de la grossesse : 20,4 semaines. A ce stade (et peut-être même avant, mais l'avis du Comité ne le précise pas) LMR et sa mère étaient accompagnées et entourées d'« organisations de femmes », qui avaient sans doute flairé l'affaire exploitable.

Finalement, LMR allait subir fin août un avortement clandestin.

Sa mère se plaint d'avoir dû prendre ce risque pour sa fille – plainte retenue par les « experts » – mais dénonce également l'action du recteur de l'Université catholique, celle des avocats catholiques et autres groupes de pression qui ont selon elle influencé le refus des médecins de supprimer la vie de son petit-enfant. Le Comité ne l'a pas suivie sur ce plan.

En revanche, il lui donne raison quasiment sur tout le reste, posant le principe de l'obligation pour un Etat signataire du Pacte des droits civiques et politiques d'assurer l'accès à l'avortement à ses ressortissants dès lors que celui-ci n'est pas puni par la législation de cet Etat.

Les organisations féministes qui avaient aidé la mère de LMR à porter plainte – CLADEM Argentine, INSGENAR et « Catolicas por el Derecho a Décidir » (« Catholiques pour le droit de choisir ») – jubilent aujourd'hui.

Et pourquoi ne le feraient-elles pas, puisque l'Etat argentin, loin de présenter une défense musclée, a fini devant le Comité par déclarer que la mère n'avait pas tort, que ses droits avaient été lésés et qu'il serait peut-être plus judicieux de trouver un arrangement…

L'avis du Comité des droits de l'homme comporte un paragraphe à méditer : il évoque l'état de « stress post-traumatique » de la jeune fille après toute cette affaire, puisqu'elle présente désormais des « symptômes phobiques ». S'il est « difficile de faire la différence entre les effets du viol et ceux résultant de l'inefficacité de l'Etat à lui garantir l'accès à un avortement sans danger », signale l'auteur de la plainte,  on peut penser qu'il y aurait eu moins de dommages moraux et psychiques si la jeune fille n'avait dû attendre aussi longtemps son avortement. De fait les « experts » ont reconnu l'existence de dommages moraux et psychiques…

Mais personne ne se demande si l'avortement lui-même n'avait pu faire un tort considérable à LMR. Cela ne faisait pas partie des points de vue que les organisations féministes étaient prêtes à aborder…

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