Moins d’euthanasies aux Pays-Bas ?
Rapport trompeur et soins palliatifs douteux…
De moins en moins d’euthanasies : aux Pays-Bas, on est passé de 3 500 cas déclarés en 2001 (selon la procédure prévue par la loi de minutie qui a légalisé la mise à mort des patients en phase terminale), à 2 325 cas en 2005. On retrouve des niveaux comparables à ceux de 1990, époque où l’euthanasie était illégale. Bravo, alléluia ? Certes non ; ces chiffres publiés jeudi par le ministère de la Santé néerlandais sont en réalité les arbres qui cachent une forêt où le geste médical de fin de vie est de moins en moins clairement défini. Ce qui ouvre la porte au contraire à une banalisation sans précédent de la « médecine » qui tue.
Sur les quelque 140 000 décès enregistrés annuellement aux Pays-Bas, la moitié sont dus désormais à une « intervention médicale ». Les soins palliatifs se développent, paraît-il. Les médecins préfèrent lutter contre les symptômes pénibles d’une maladie en phase terminale ; l’administration directe d’un cocktail lytique (détendeurs musculaires et barbituriques) est moins souvent choisie et c’est celle-ci qui est définie comme « euthanasie » aux termes de la loi.
Deux autres causes interviennent dans la baisse des chiffres : il y eut moins de décès en 2005 qu’en 2001, et parmi ceux-ci plus de morts de personnes âgées de plus de 80 ans – celles-ci sont moins nombreuses à réclamer que l’on mette fin à leurs jours (et cela mérite d’être médité !). Ces faits ne sont guère évoqués dans la presse internationale.
Celle-ci montre déjà des signes de volonté de tirer argument de cette diminution du nombre de cas déclarés pour justifier la légalité de l’euthanasie et pour vanter les progrès de la médecine palliative que cette légalité a pu entraîner, en permettant que les malades en phase terminale soient mieux entourés.
Or, il apparaît que la technique palliative employée présente de graves ambiguïtés. Il s’agit de la « sédation palliative », inventée à l’hôpital catholique Radboud de Nimègue depuis quelques années et appliquée depuis 1999 : celle-ci implique l’administration de morphine à hautes doses, de nature à pouvoir hâter la mort. Le but étant de maîtriser une douleur insupportable, ou d’éviter la pénibilité d’une mort par asphyxie, ou de calmer des personnes agitées et dans un état de confusion : on cherche à les endormir afin qu’elles ne soient pas conscientes de leur propre mort. Ce genre de médication avec intention de donner la mort a été administrée 9 700 fois en 2005 contre 8 500 en 2001 : si elle était comptée comme méthode euthanasique, il faudrait bien parler, au mieux, d’une stabilité des chiffres… Et y ajouter les 1 500 cas où la décision de donner la mort n’avait pas été explicitement prise. 33 700 cas de sédation forte ayant pu hâter la mort ont par ailleurs été répertoriés contre 29 000 en 2001.
D’autant que la « sédation palliative » ne donne lieu à aucune déclaration obligatoire. Qu’elle est perçue comme ne répondant pas aux « critères de minutie » prévus par la loi. Qu’elle suppose l’utilisation de la morphine en vue d’endormir le patient, et non de calmer la douleur, seule application légale. Et cela n’est pas sans inconvénients : la respiration est déprimée, un état de confusion peut s’ensuivre. Tous les médecins qui ont eu recours à ce moyen ont-ils répondu sincèrement à l’enquête commandée par le ministère de la Santé ? Sont-ils nombreux à avoir le sentiment d’avoir pratiqué une euthanasie par un moyen non légal, ce qui les incite à ne pas rendre compte, comme la loi les y « oblige », d’un geste mortel ? Il apparaît en effet qu’en cette matière où la frontière est si ténue entre la volonté de donner la mort et celle d’empêcher la souffrance que nombre de médecins ne savent plus s’ils ont euthanasié ou non, ce qui est sans doute la meilleure façon de banaliser la chose…
Il faut ici apporter quelques précisions. La sédation poussée à un niveau qui peut hâter la mort et même la provoquer n’est pas forcément un mal moral. Dès lors que l’effet recherché n’est pas la mort, mais le soulagement d’une extrême souffrance par des doses de plus en plus fortes d’un calmant puissant, la mort peut n’être qu’un effet indirect, une conséquence non souhaitée pour elle-même.
Cette bonne morale n’est pourtant pas, disons-le tout net, celle qui préside aux techniques de sédation palliative qui semblent se généraliser aujourd’hui aux Pays-Bas.
Premier point : aux termes du rapport du 10 mai, nombre de médecins qui l’ont pratiquée avouent ouvertement y avoir eu recours en vue de hâter la mort. Cela montre que la pratique, délicate, du soulagement du malade est de plus en plus perçue comme autorisant une intervention directe pour provoquer sa mort à court terme : sans aucun doute il s’agit là d’une conséquence de l’euthanasie légale.
Deuxième point :on peut penser que peu de commentateurs prendront la peine d’aller regarder les directives officielles de la pratique de la sédation palliative. Une vérification sommaire permet pourtant de dire que la manière dont les médecins sont invités à la pratiquer la fait relever systématiquement du domaine de l’euthanasie lorsqu’elle n’est ni temporaire, ni intermittente.
La sédation palliative « profonde et continue » est en effet réservée, dans le cadre de directives publiées en 2005, aux cas où les symptômes réfractaires d’une maladie en phase terminale (y compris la dyspnée ou le délire) entraînent des « souffrances insupportables ». Il est précisé que l’espérance de vie doit être évaluée pour le patient à une ou deux semaines maximum. Pourquoi ? Parce que l’administration de la sédation palliative doit nécessairement entraîner l’absence de toute hydratation artificielle du patient.
« Dans le cadre d’une espérance de vie supérieure à une ou deux semaines, la sédation profonde et continue aura en effet une influence sur le moment du décès. Le patient mourra plus tôt de dessèchement qu’il n’en aurait été autrement. »
Derrière le jargon et l’apparence de respect du délai naturel de la mort il y a là une gigantesque tromperie par sous-entendu : la sédation palliative s’accompagne d’un refus du soin ordinaire, du soin humanitaire de l’hydratation du malade, qui a pour issue inéluctable la mort…
Après cela on peut gloser, et assurément beaucoup de données du rapport de plus de 316 pages méritent d’être étudiées avec soin. On y apprend qu’en 2005 bien plus qu’en 2001, les médecins invoquent le « manque de dignité » des patients pour justifier le geste euthanasique, tandis que la présence d’une douleur insupportable n’est plus invoquée que dans 29% des cas.
La pratique de l’euthanasie des enfants, à la demande des parents ou de l’enfant, voire une demande d’aide au suicide, a également été évaluée chez près de 200 pédiatres. La majorité d’entre eux n’a pas été confrontée à cette question dans la pratique ; 3% avouent avoir « à l’occasion » euthanasié des enfants ; ils sont 75% à trouver ce geste parfaitement justifiable et seraient prêts à l’accomplir.
Une donnée qui à elle seule dément les conclusions optimistes du secrétaire d’Etat néerlandais à la Santé, Jet Bussemaker, qui a présenté ce rapport avec satisfaction en précisant toutefois : « Je trouve que la qualité de la vie et de la mort du patient doit être centrale. L’existence des soins palliatifs, pour beaux et importants qu’ils soient, ne constitue pas en elle-même une raison pour dénier à quelqu’un une euthanasie. » Il ne s’agit pas pour autant d’un droit, précise-t-elle. Ah, bon ?
Source : www.present.fr (cet article a paru dans le numéro daté du samedi 12 mai 2007).
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