Leur démarche, qui s’est complétée d’une reformulation des dubia parce qu’une première réponse du pape, adressée de manière privée à deux des signataires (on en saisit partiellement la teneur dans le texte de la reformulation), n’avait pas fait la clarté comme l'exige la formule, est la manifestation d’un grand souci de l’Eglise partagé par cinq cardinaux. Non seulement ils ont dû en discuter ensemble, mais ils se sont mis d’accord sur des idées, des mots, et pour tout dire des questions montrant à quel point ils jugent la situation actuelle grave. Leur approche concertée est ainsi un signe d’espérance. Des membres éminents de la hiérarchie, parmi lesquels deux cardinaux électeurs, Burke et Sarah, sont prêts à se dresser pour défendre la foi.
Leur démarche rappelle la soumission, en 2016, de cinq dubia par quatre cardinaux – les cardinaux Burke et Brandmüller, que l’on retrouve ici, et les cardinaux Meisner et Caffarra, décédés depuis – après la publication d’Amoris laetitia, et l’ouverture à l’accès à la communion pour les divorcés engagés dans une nouvelle union civile alors que leur mariage était valide. Ces questions n’avaient pas reçu la moindre réponse.
Ce n’eût pourtant pas été bien compliqué pour le pape de réagir : le
dubium est une question formelle posée par un prélat au Saint-Siège, appelant une réponse par « oui » ou par « non », sans argumentation théologique. Absence de réponse en 2016, réponse ne respectant pas les règles des
dubia en 2023 : décidément,
c’est la confusion qui demeure le maître mot de ce pontificat.
Cette fois, c’est sur des points essentiels que portent les questions des cardinaux, des questions plus fondamentales et potentiellement plus graves qu’en 2016 car il s’agit de réagir à un état d’esprit révolutionnaire qui s’est installé parmi les cercles apparemment les plus écoutés et les plus influents au synode au sujet de la nature même de l’Eglise.
Comme le montrent les dubia des cardinaux Burke, Brandmüller, Sandoval, Sarah et Zen, il s’agit de points majeurs qui ne souffrent en réalité aucune discussion.
J’en publie ci-dessous, avec l’aimable autorisation du cardinal Burke, les deux versions successives avec en exergue une « notification aux fidèles » signée à la date du 2 octobre par les cinq cardinaux à la veille de l’ouverture de la première étape du synode sur la synodalité.
Il faut bien comprendre en effet que les questions posées par les cardinaux sont des appels à redire sans détours l’enseignement de l’Eglise du Christ, et qu’elles résument en quelque sorte les plus graves des dérives doctrinales de prélats progressistes. Ces derniers mois, la dénonciation de ces dérives s’est faite plus audible : en demandant au pape un simple rappel de l’enseignement de l’Eglise, les dubia mettent le saint-père en mesure de « confirmer ses frères dans la foi » et cela ne saurait être interprété comme une manière de le mettre en porte-à-faux.
Ces points, on les connaît, vu l’effervescence qui les entoure depuis des mois. Il s’agit au premier chef de la volonté, exprimée par certains, de procéder à une « réinterprétation » de la Révélation en fonction des changements culturels de notre temps.
Ou encore – blasphème inouï – de la possibilité de bénir les couples homosexuels,
affirmée par exemple par Mgr Heiner Koch, archevêque de Berlin, qui déclarait fin août qu’il ne sanctionnerait pas les prêtres de son diocèse qui procéderaient à de telles bénédictions.
La question de la synodalité présentée comme « dimension constitutive de l’Eglise » est également posée : n’est-on pas en train de transformer un organe consultatif du pape, le synode des évêques, en autorité à part entière ?
On peut ajouter ici en parenthèse
la remarque récente du cardinal Müller : « Les évêques participent à leur charge en exerçant une responsabilité collégiale pour toute l’Eglise avec le Pape. Si les laïcs y participent avec le droit de vote, il ne s’agit plus d’un synode d’évêques ou d’une conférence ecclésiastique, puisqu’il n’y a pas l’autorité d’enseignement apostolique du collège épiscopal. »
Ce qui montre bien, et il faudra le dire et le répéter, que ceci n’est pas un synode !
Le 4e
dubium porte sur l’affirmation de certains pasteurs et théologiens selon laquelle la « théologie de l’Eglise à changé », de telle sorte qu’au vu des circonstances actuelles on pourrait conférer l’ordination sacerdotale aux femmes –
ainsi l’a déclaré récemment l’évêque suisse Mgr Fémix Gmür, président de la conférence épiscopale helvétique.
Le 5e des dubia, enfin, porte sur l’insistance du pape quant au devoir pour le prêtre qui confesse d’absoudre sacramentellement « tout le monde, toujours », sans exiger la contrition (ni, par conséquent, l’intention de ne plus pécher).
Dans tous les cas, les cinq cardinaux rappellent les sources de la doctrine clairement établie de l’Eglise en ces matières.
Dans la deuxième version, adressée au pape François le 21 août dernier et restée sans réponse à ce jour, les cardinaux Brandmüller, Burke, Sandoval, Sarah et Zen précisent la portée de leurs questions et les reformulent de manière plus resserrée, plus vive.
Voici donc ci-dessous la « Notification » des cardinaux aux « fidèles du Christ », suivie des deux versions successives des dubia.
Jeanne Smits
*
Notification aux fidèles du Christ (can. 212 § 3)
au sujet des “Dubia” soumis au Pape François
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Nous, membres du Sacré Collège des Cardinaux, en vertu du devoir de tous les fidèles « de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église » (can. 212 § 3), et surtout en vertu de la responsabilité incombant aux Cardinaux d’assister « le Pontife Romain… individuellement… surtout dans le soin quotidien de l’Église tout entière » (can. 349), au vu de diverses déclarations de prélats haut placés se rapportant à la célébration du prochain Synode des Évêques, déclarations ouvertement contraires à la doctrine et à la discipline constantes de l’Église, et qui ont engendré et continuent d’engendrer parmi les fidèles et les autres personnes de bonne volonté une grande confusion ainsi que la chute dans l’erreur, nous avons manifesté au Pontife romain notre très profonde préoccupation. Par notre lettre du 10 juillet 2023, recourant à la pratique éprouvée de la soumission de dubia [questions] à un supérieur pour donner à ce dernier l’occasion de clarifier, par ses responsa [réponses], la doctrine et la discipline de l’Église, nous avons soumis cinq dubia au pape François, dont une copie est jointe [ci-dessous]. Le pape François y a répondu par lettre du 11 juillet 2023.
Ayant étudié sa lettre qui ne suivait pas la pratique habituelle des responsa ad dubia [réponses aux questions], nous avons reformulé les dubia pour obtenir une réponse claire fondée sur la doctrine et la discipline pérennes de l’Église. Par notre lettre du 21 août 2023, nous avons soumis au Pontife romain les dubia reformulés, dont une copie est jointe en annexe. À ce jour, nous n’avons pas reçu de réponse à ces dubia reformulés.
Étant donné la gravité de la matière de ces dubia, et spécialement en raison de l’imminence de la session du Synode des Évêques mentionnée plus haut, nous estimons qu’il est de notre devoir de vous informer, vous les fidèles (can. 212 § 3), afin que vous ne soyez pas sujets à la confusion, à l’erreur et au découragement, mais que vous puissiez prier pour l’Église universelle et, en particulier, pour le Pontife romain, afin que l’Évangile soit enseigné avec toujours plus de clarté, et suivi avec une fidélité toujours croissante.
Bien vôtres dans le Christ,
Walter Cardinal Brandmüller
Raymond Leo Cardinal Burke
Juan Cardinal Sandoval Íñiguez
Robert Cardinal Sarah
Joseph Cardinal Zen Ze-kiun
Rome, le 2 Octobre 2023
*
Première formulation des “Dubia”
1. Dubium à propos de l’affirmation selon laquelle nous devons réinterpréter la Révélation divine en fonction des changements culturels et anthropologiques à la mode.
A la suite des déclarations de certains évêques, ni corrigées, ni rétractées, il est demandé si, dans l’Eglise, la Révélation divine doit être réinterprétée en fonction des changements culturels de notre temps et de la nouvelle vision anthropologique que ces changements favorisent ; ou si la Révélation divine lie pour toujours, est immuable et ne peut donc être contredite, comme l’affirme l’enseignement du Concile Vatican II selon lequel à Dieu qui révèle est due l’obéissance de la foi (Dei Verbum 5) ; que ce qui est révélé pour le salut de tous doit demeurer « toujours en son intégrité » et transmis « à toutes les générations » (7) ; et que le progrès de la compréhension n’implique aucun changement dans la vérité des choses et des mots, parce que la foi « leur a été une fois pour toutes transmise » (8), et que le Magistère n’est pas supérieur à la Parole de Dieu, mais qu’il enseigne seulement ce qui a été transmis (10).
2. Dubium à propos de l’affirmation selon laquelle la pratique généralisée de la bénédiction des unions homosexuelles serait en accord avec la Révélation et le Magistère (CEC 2357).
Selon la Révélation divine, confirmée par l’Ecriture Sainte, que l’Eglise « par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit Saint, (…) écoute (…) avec amour, (elle) la garde saintement et l’expose aussi avec fidélité (Dei Verbum 10) : « Au commencement », Dieu créa l’homme à son image, homme et femme il les créa, et les bénit pour qu’ils soient féconds (cf. Gn I, 27-28), et l’apôtre Paul enseigne que la négation de la différence sexuelle est la conséquence de la négation du Créateur (Rm I, 24-32). Il est demandé : l’Église peut-elle déroger à ce « principe », en le considérant, contrairement à ce qu’enseignait Veritatis Splendor 103, comme un simple idéal, et en acceptant comme un « bien possible » des situations objectivement peccamineuses, telles les unions homosexuelles, sans trahir la doctrine révélée ?
3. Dubium à propos de l’affirmation selon laquelle la synodalité est une « dimension constitutive de l’Église » (Constitution apostolique Episcopalis Communio 6), de sorte que l’Église serait, par sa nature même, synodale.
Étant donné que le Synode des évêques ne représente pas le Collège des évêques, n’étant qu’un organe consultatif du Pape, et que les évêques, en tant que témoins de la foi, ne peuvent pas déléguer leur confession de la vérité, il est demandé si la synodalité peut être le critère régulateur suprême du gouvernement permanent de l’Église sans altérer l’ordre constitutif voulu par son Fondateur, selon lequel l’autorité suprême et plénière de l’Église est exercée à la fois par le Pape en vertu de sa charge et par le Collège des évêques en union avec son chef le Pontife romain (Lumen Gentium 22).
4. Dubium à propos du soutien apporté par des pasteurs et des théologiens à la théorie selon laquelle « la théologie de l’Église a changé » et que, par conséquent, l’ordination sacerdotale peut être conférée à des femmes.
A la suite des déclarations de certains prélats, ni corrigées, ni rétractées, selon lesquelles la théologie de l’Eglise et le sens de la Messe ont changé avec Vatican II, il est demandé si l’enseignement du Concile Vatican II est encore valable, selon lequel « [le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique] ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degré » (Lumen Gentium 10) et que les presbytres, du fait qu’il sont « investis par l’Ordre du pouvoir sacré d’offrir le Sacrifice et de remettre les péchés » (Presbyterorum Ordinis 2), agissent au nom et en la personne du Christ Médiateur, par qui le sacrifice spirituel des fidèles est rendu parfait. Il est en outre demandé si l’enseignement de la Lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis de saint Jean-Paul II, qui enseigne comme une vérité à tenir définitivement l’impossibilité de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, est toujours valide, de sorte que cet enseignement n’est plus soumis au changement ni à la libre discussion des pasteurs ou des théologiens.
5. Dubium à propos de l’affirmation « le pardon est un droit humain » et de l’insistance du Saint-Père quant au devoir d’absoudre tout le monde et toujours, de sorte que la contrition ne serait pas une condition nécessaire à l’absolution sacramentelle.
Il est demandé si l’enseignement du Concile de Trente, selon lequel la contrition du pénitent, qui consiste à détester le péché commis avec l’intention de ne plus pécher (Session XIV, Chapitre IV : DH 1676), est une condition nécessaire à la validité de la confession sacramentelle, est toujours en vigueur, de sorte que le prêtre doit différer l’absolution lorsqu’il est clair que cette condition n’est pas remplie.
Cité du Vatican, 10 juillet 2023
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