06 avril, 2021

Hans Küng est mort. Le théologien progressiste jadis condamné par Rome, a reçu l'hommage du président de la Conférence épiscopale d’Allemagne

Hans Küng, l’un des théologiens les plus connus au monde et fondateur de la Global Ethic Foundation, est mort paisiblement mardi à son domicile de Tübingen à l’âge de 93 ans. Le Suisse, qui a enseigné à Tübingen de 1960 à 1996, a joué un rôle majeur dans la propagation des idées progressistes au sein de l’Église catholique. Et s’il a été condamné par Rome pour diffusion d’idées non conformes à la doctrine, il est aujourd’hui salué par Mgr Georg Bätzing, président de la Conférence des évêques d’Allemagne.

Ses livres sont devenus des best-sellers, note la presse allemande. Au cours de ces 30 dernières années, Küng s’était particulièrement engagé dans le dialogue des religions du monde, notamment dans le « Global Ethic Project » créé à l’université de Tübingen en 2011 parce qu’il souhaitait que l’œuvre de sa vie soit poursuivie après sa mort, ainsi qu’il l’avait déclaré à l’époque.

Le projet repose sur la conviction que sans la paix entre les religions, il ne peut y avoir de paix entre les États : une idée promue par l’UNESCO depuis sa fondation et que l’on retrouve chez les promoteurs de la spiritualité globale comme Robert Muller, secrétaire de plusieurs Secrétaires généraux de l’ONU. Küng avait d’ailleurs voisiné avec Muller et le Dalai Lama au bureau de la « United Religions Initiative ».  En 1990, Küng publiait notamment le livre Projekt Weltethos (« Projet d’éthique mondiale »), dans lequel, suivant la philosophie d’Emmanuel Kant, il explorait la question d’un ensemble de valeurs unissant tous les peuples et toutes les religions. 

A l’époque, Rome lui avait déjà retiré sa licence d’enseignement, entre autres en raison de ses critiques à l’égard de la doctrine de l’infaillibilité du pape. C’était en 1979. Par la suite, Küng se fit le féroce adversaire de Jean-Paul II. Il était bien sûr favorable à l’abolition du célibat sacerdotal et à l’ordination des femmes. Mais comme l’écrivait Le Monde en 2006, il était surtout le partisan de l’entrée de l’Eglise catholique (et de l’islam, et du judaïsme) dans le « paradigme de l’âge moderne ».

Ce même article citait les paroles irritées de Küng à la suite du discours de Ratisbonne de Benoît XVI : 

« Il n’a jamais travaillé la théologie de la Réforme ni l’exégèse historico-critique du Nouveau Testament. Comment ose-t-il aujourd’hui faire la leçon aux musulmans sur la raison ? Vous croyez que, pour eux, notre religion chrétienne, avec son Dieu fait homme et son Dieu en trois personnes, est une religion rationnelle ? »

Moderniste, Küng l’a toujours été. Avant même le concile Vatican II, Küng  plaidait pour un renouveau intérieur de l’Eglise et une ouverture œcuménique avec pour objectif l’unification des églises. Il était cofondateur de la revue de théologie Concilium.

Küng avait résumé ses griefs à l’égard de l’Eglise dans le journal populaire Der Spiegel. « Il y a un bouillonnement dans l’Eglise depuis longtemps. Cela s’est manifesté le plus clairement dans la dissimulation, pendant des décennies, des agressions sexuelles commises par des clercs contre des enfants », a-t-il déclaré dans une interview en 2011. « Nous avons perdu des dizaines de milliers de prêtres depuis le Concile des années 1960, des centaines de paroisses sont sans pasteurs, les ordres religieux masculins et féminins s’éteignent, ils ne trouvent plus de sang neuf. La fréquentation des services religieux est en baisse constante. »

Mais même ce constat d’échec ne l’a pas porté à remettre en cause l’aggiornamento dans l’Eglise : au contraire, il en demandait toujours davantage, pour finir de la diluer dans la spiritualité globale.

Le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, Mgr Georg Bätzing, lui a rendu cet hommage posthume et appuyé sur le site officiel de l’Eglise catholique en Allemagne :

« Avec le décès du Prof. Dr. Hans Küng, la science théologique perd un chercheur reconnu et controversé. Dans son travail de prêtre et de scientifique, Hans Küng s’est attaché à rendre compréhensible le message de l’Évangile et à lui donner une place dans la vie des fidèles. Je pense en particulier à ses efforts pour promouvoir un œcuménisme vivant, à son engagement en faveur du dialogue inter-religieux et interculturel, et à la Fondation Global Ethic qu’il a fondée, avec ses importantes recherches et projets sur la paix, la justice et l’intégrité de la création.

« Hans Küng n’a jamais manqué de défendre ses convictions. Même s’il y a eu des tensions et des conflits à cet égard, je le remercie tout spécialement en cette heure d’adieu pour ses nombreuses années d’engagement en tant que théologien catholique dans la communication de l’Évangile. Le dialogue des religions dans l’effort d’une éthique globale était, pour lui, un grande préoccupation. Hans Küng a été profondément influencé par le Concile Vatican II, dont il s’est efforcé d’assurer la réception théologique.

« En cette heure, je me souviens également de la visite du professeur Hans Küng au pape Benoît XVI en septembre 2005, peu après son élection. Hans Küng laisse derrière lui un riche héritage théologique. Nous pleurons cette personnalité ; puisse-t-elle désormais trouver sa paix dans la main de Dieu. »

 

(Feue ?) l’Académie pontificale pour la vie a également tweeté sa tristesse devant la disparition du théologien hétérodoxe :


« Disparaît une grande figure de la théologie du siècle dernier,
dont les idées et les analyses doivent toujours
nous conduire à réfléchir sur
l’Eglise catholique, les Eglises, la société, la culture. »


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