Un tribunal de district a rendu le 11 janvier dernier une décision déclarant contraires à la constitution allemande les interdictions de réunions au-delà d’une personne étrangère au foyer mises en place au printemps, ici dans le Länd de Thuringe. Fortement argumenté, le jugement du tribunal de Weimar, disponible ici, va jusqu’à contester l’efficacité des mesures de « verrouillage » en observant qu’on les a prolongées deux fois depuis novembre sans que la contagion et la mortalité associées au virus ne diminuent.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une décision locale, elle obligera les autorités judiciaires et les responsables fédéraux à réagir et à contester les arguments avancés – c’est si vrai que le parquet a d’ores et déjà engagé un recours légal qui porte sur leur validité juridique.
Le tribunal de district de Weimar vient de relaxer un homme qui avait violé les restrictions COVID en avril 2020. Le jugement affirme que l’interdiction générale des contacts ordonnée par l’État constitue une violation de la constitution.
Le journal FOCUS signale que cette argumentation juridique contredit largement l’opinion dominante des universitaires et des décideurs politiques : s’agissant d’un jugement de première instance, le risque existe qu’il soit contredit, d’autant que le ministère public d’Erfurt a déposé une demande de recours légal contre la décision du tribunal de district ; une procédure qui vise à obtenir une décision du tribunal régional supérieur à propos d’une question juridique litigieuse.
Le tribunal de Weimar a donc jugé que la politique de confinement allemande (plus légère qu’en France, puisqu’au printemps les déplacements n’étaient pas interdits) ainsi que l’interdiction générale des contacts qui l’accompagnait étaient illégales. Rendue il y a quelques jours, la décision fait référence à un incident survenu au printemps 2020 en Thuringe, mais en visant également le « verrouillage partiel » à l’échelle nationale à partir de novembre 2020. Celui-ci a été prolongé deux fois, et même renforcé depuis lors.
Dans son exposé des motifs de 19 pages, le tribunal de district estime que l’interdiction générale des contacts avait « violé un tabou » et porté atteinte à la « dignité humaine garantie comme inviolable ». Les décideurs politiques s’en sont pris aux « fondements de la société » et ont restreint de manière inadmissible le droit des gens à la liberté, affirme le jugement, précisant que les mesures sanitaires avaient été « disproportionnées ».
En Thuringe, elles furent le résultat d’une « décision politique catastrophiquement erroné,e avec des conséquences dramatiques dans quasiment tous les domaines de la vie des gens », peut-on y lire. Dans leurs efforts bien intentionnés pour contenir la propagation du virus, les responsables politiques se sont en partie appuyés sur de « fausses hypothèses » ou ont mal interprété les faits établis. En tout état de cause, la situation n’a pas été examinée de manière exhaustive, souligne le tribual de Weimar.
Ainsi, au printemps 2020, il n’y avait pas d’« urgence sanitaire générale » en Thuringe ou ailleurs en Allemagne, note la Cour. Par conséquent, il n’y avait aucun danger que notre système de santé s’effondre, ni que le nombre de décès atteigne « des dimensions complètement différentes » de celles constatées lors des « vagues de grippe qui se produisent régulièrement ».
Par conséquent, l’État n’avait pas le droit d’ordonner un verrouillage, ni de mettre en place « les restrictions les plus complètes et les plus importantes aux droits fondamentaux dans l’histoire de la République fédérale ».
L’affaire portait sur une infraction administrative mineure, avec une menace d’amende de 200 euros : le prévenu était un jeune homme qui avait fêté son anniversaire avec sept amis dans un jardin le 24 avril 2020. Ce faisant, il avait violé l’ordonnance de Thuringe sur protection contre le coronavirus, qui autorisait à se réunir au maximum « avec une autre personne ne faisant pas partie du foyer ».
Des violations similaires des mesures COVID occupent les tribunaux de district dans toute l’Allemagne depuis de nombreux mois. Mais alors qu’on ne parle, le plus souvent, que du montant de l’amende, le tribunal de Weimar a remis en question le fondement juridique de la décision politique. Dans le cas d’ordonnances légales qui n’ont pas été adoptées par le Bundestag ou un parlement d’État, chaque tribunal est autorisé à décider lui-même de leur constitutionnalité.
Les arguments présentés par le tribunal de Thuringe sont intéressants car ils nient non seulement la légalité des mesures de verrouillage, mais contestent également leur efficacité.
Par exemple, le jugement affirle qu’avec l’interdiction générale des contacts, l’État s’est attaqué aux « fondements de la société » en imposant une distance physique entre les citoyens. « La question de savoir combien de personnes un citoyen invite chez lui ou avec combien de personnes il rencontre dans l’espace public pour se promener, faire du sport, faire des courses ou s’asseoir sur un banc de parc, ne doit pas intéresser l’Etat par principe », dit le tribunal de Weimar.
Le tribunal part du principe que la crise du coronavirus a entraîné un « changement de valeurs » au sein de notre société. Des choses qui étaient auparavant impensables sont maintenant considérées comme « normales » par de nombreuses personnes, y compris en ce qui concerne la restriction des droits fondamentaux. Néanmoins, il ne fait « aucun doute » que l’État constitutionnel démocratique, avec une interdiction générale des contacts, a « violé un tabou qui était auparavant considéré comme totalement acquis », dit le jugement.
Il note que les citoyens ont été privés de leur liberté fondamentale de décider eux-mêmes des risques auxquels ils veulent s’exposer. On ne peut plus choisir librement de « fréquenter un café ou un bar le soir » en « acceptant une infection par un virus respiratoire » - ou s’il préfère rester chez lui par sécurité. L’État a considéré ses citoyens comme des objets qui doivent être tenus « à distance » par la contrainte, selon l’arrêt. « L’existence du sujet libre, qui assume lui-même la responsabilité de sa santé et de celle de son prochain, a été suspendue. »
Tout cela pourrait encore être acceptable d’un point de vue juridique si l’État se trouvait dans une « situation d’urgence très exceptionnelle », a déclaré le tribunal. Par exemple, si un « effondrement national du système de soins de santé » était imminent ou si des signes montraient que le taux de mortalité augmentait de façon spectaculaire. Mais le tribunal affirme ne pas constater de tels signes au moment de l’infraction administrative signalée au printemps 2020.
Il va plus loin, affirmant qu’on ne peut attendre d’une interdiction générale de contacts « une contribution substantielle ayant une influence positive sur une épidémie ». Le « verrouillage brise-lames » ordonné en novembre 2020, initialement pour un mois seulement mais prolongé deux fois depuis lors, confirme selon le jugement que « les verrouillages ne peuvent pas influencer de manière significative l’incidence de l’infection et en particulier le nombre de cas mortels ».
La décision du tribunal de district – qui va à l’encontre des opinions politiques et des recommandations des scientifiques dominantes – n’a certes pas de portée nationale. Ses effets concrets se limitent au plaignant et à la ville de Weimar. Néanmoins, la décision est susceptible de susciter des discussions bien au-delà des frontières de la Thuringe et de faire avancer le débat parmi les experts juridiques. Après tout, il n’existe pas à ce jour de jurisprudence uniforme en Allemagne sur la constitutionnalité des restrictions de contact.
Il est incontestable que la capacité de l’État à intervenir dans les libertés civiles des citoyens est limitée et doit être très bien justifiée dans chaque cas individuel – même ou surtout dans une situation de pandémie. Cela était tout aussi vrai au printemps 2020 qu’en janvier 2021. À cet égard, la question qu’on se pose est celle de savoir comment le tribunal jugerait un incident similaire s’il s’était produit il y a quelques jours seulement, alors que la situation est plus sérieuse qu’au printemps, notamment en Thuringe.
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