Henry Sire écrit un nouveau chapitre du “Pape Dictateur”
Revoici un texte mis en ligne hier mais qui est arrivé chez vous, chers abonnés de la lettre d'informations de ce blog, sous une forme bizarre et des instructions en anglais. J'espère avoir remédié à ce problème.
Henry Sire, auteur du Pape dictateur édité en français aux Presses de la délivrance (traduction Jeanne Smits, pour vous servir !), m'a confié un complément de texte, paru il y a quelques jours sur OnePeterFive, à traduire en français. Mes autres activités m'ont fait retarder ce travail mais le voici enfin : ce coup d'œil effarant sur plusieurs affaires qui ont marqué l'époque où Jorge Bergoglio était évêque auxiliaire puis cardinal-archevêque de Buenos Aires. Escroquerie, affaires financières douteuses, prélats homosexuels, affaires d'agressions sexuelles envers des mineurs, « couverture » de toutes sortes d'inconduite et refus d'entendre les victimes : les ingrédients sont tous là. Alors que l'affaire du témoignage de Mgr Carlo Maria Vigano secoue l'Eglise, voici de nouveaux éléments pour comprendre, et qui viennent compléter ou préciser le portrait révélateur du pape François dressé par Henry Sire dans Le Pape dictateur, à découvrir d'urgence ici une fois que vous aurez profité de cet avant-goût. – J.S.
Le cardinal Bergoglio de Buenos Aires :quelques questions restées sans réponse
Lorsque j’ai écrit Le pape dictateur, j’ai montré que les cardinaux ont omis, en 2013, de se renseigner sur les états de service du cardinal Jorge Bergoglio en tant qu’archevêque de Buenos Aires – car s’ils en avaient eu une connaissance ne serait-ce que superficielle, ils n’auraient pas voté pour lui. Plus on en apprend sur son bilan, plus ce fait devient évident. Le cardinal Bergoglio, cela est de plus en plus clair, n’était pas simplement en-deçà de ce que l’on attend habituellement d’un candidat au pontificat : par ses relations les plus proches sinon par son comportement personnel, il était en lien avec certains des aspects les plus corrompus de l’Eglise d’Amérique du Sud. Il est désormais nécessaire de décrire certains de ces exemples.
1. L’escroquerie de la Sociedad Militar Seguro de Vida
J’ai évoqué dans mon livre un scandale financier qui avait éclaté à Buenos Aires peu avant que Bergorglio ne devienne archevêque ; les révélations faites depuis lors au sujet de la figure centrale de cette affaire, Mgr Roberto Toledo, lui donnent un aspect encore plus sinistre qu’on ne pouvait le deviner à l’époque. Voici l’histoire. En 1997, cela faisait cinq ans que Jorge Bergoglio était l’un des évêques auxiliaires de Buenos Aires ; il avait en outre obtenu le droit de succéder au cardinal Quarracino, en mauvaise santé – celui-ci mourut d’ailleurs l’année suivante. Quarracino avait des liens avec une banque, Banco de Crédito Provincial, appartenant aux Trusso : considérés comme des piliers de l’Eglise, ils avaient noué de forts liens d’amitié avec le cardinal. Quarracino était intervenu afin d’obtenir au profit du BCP la gestion de l’important compte du fonds des pensions militaires, la Sociedad Militar Seguro de Vida. Celle-ci fut sollicitée en 1997 en vue de faire à l’archidiocèse de Buenos Aires un prêt d’un montant de dix millions de dollars garanti par le BCP. La réunion pour la signature du contrat se tint dans les bureaux de l’archidiocèse, mais le cardinal Quarracino était trop malade pour y prendre part et il se fit représenter par son secrétaire général, Mgr Roberto Toledo. A l’heure de signer le contrat, Mgr Toledo sortit du bureau avec le document sous prétexte de le présenter au cardinal ; peu après, il le rapporta muni d’une signature dont on devait constater plus tard qu’il l’avait lui-même contrefaite.
Mgr Toledo est un exemple criant d’un clergé corrompu dont la position de premier plan au sein de l’Eglise est de plus en plus mise en lumière par le pontificat du pape François. C’était un homosexuel connu pour avoir pour amant un professeur de gymnastique ; il servait d’instrument au service de l’influence financière des Trusso au sein de l’archidiocèse. Quelques semaines seulement après la conclusion du prêt, mais pour des raisons sans rapport, le BCP faisait faillite : on apprit que la banque avait d’importantes dettes qu’elle ne pouvait honorer, et l’argent de la Sociedad Militar qui y avait été déposé fut englouti dans cette faillite. Lorsque la Sociedad tenta de recouvrer son prêt de dix millions de dollars auprès de l’archidiocèse, le cardinal Quarracino nia avoir jamais signé le contrat.
Le cardinal mourut peu après, et Mgr Bergoglio lui succéda à la tête de l’archevêché. Dans sa biographie, Le grand réformateur, Austen Ivereigh présente Bergoglio comme celui qui apporta la probité financière aux finances de l’archidiocèse de Buenos Aires, non sans omettre nombre de détails de toute première importance. Le premier d’entre eux concerne la manière dont Mgr Bergoglio géra la demande de restitution par la Sociedad Militar de ses dix millions de dollars. Pour traiter l’affaire, il engagea comme avocat chargé de représenter les intérêts de l’archidiocèse l’un des personnages les plus douteux du système judiciaire argentin, Roberto Dromi, lui-même poursuivi pour de nombreux délits de corruption. Le simple fait que Mgr Bergoglio ait employé cet homme constitue en soi un scandale majeur. Dromi a si bien su harceler la Sociedad à propos de sa demande de remboursement que, à la fin, elle se vit contrainte d’y renoncer.
La famille Trusso fut ruinée par la faillite de sa banque ; certains de ses membres s’affirmèrent victimes d’injustices. En 2002, la journaliste Olga Wornat demanda à Francisco Trusso au cours d’un entretien pourquoi il ne s’était pas ouvert à Bergoglio de cette affaire de signature falsifiée. Il répondit : « J’ai demandé une audience, ma femme a demandé une audience. Et mon fils. Et mon frère. Il refuse de nous recevoir… Il se dérobe, il ne veut rien entendre. Ce doit être parce qu’il n’est pas blanc-bleu. Il a dû signer quelque chose. »
Encore plus significative est la manière dont Mgr Bergoglio a ménagé Mgr Toledo. Dans un premier temps, celui-ci fut renvoyé dans sa ville sans la moindre sanction. En 2005, il fut poursuivi pour fraude, mais il n’y eut jamais de jugement. Ce traitement correspond au schéma habituel de passivité de Bergoglio face aux mauvais agissements, mais avec ce détail particulier : en tant que secrétaire du cardinal Quarracino en 1991, c’est Mgr Toledo qui avait permis de sauver le P. Bergoglio de l’exil interne auquel l’avaient condamné les Jésuites, et qui lui avait obtenu sa nomination en tant qu’évêque auxiliaire de Buenos Aires. C’est depuis cette date que Bergoglio a eu intérêt à empêcher que la réputation du cardinal Quarracino, comme celle de Mgr Toledo, ne soit ternie par les scandales qui se sont accumulés autour d’eux.
Cette histoire a connu un macabre post-scriptum en janvier 2017 lorsque Mgr Toledo, qui officiait depuis dix-huit ans comme curé de paroisse dans sa ville natale, toujours dans l’impunité, se vit accuser d’avoir assassiné un très vieil ami et d’avoir falsifié son testament. Voilà un aperçu des répercussions de la célèbre clémence de Bergoglio ; que cela nous permette aussi de commencer à prendre la mesure des personnes à qui il devait son ascension au sein de l’Eglise, et qu’il fréquentait dans le cadre de ses diverses charges.
2. L’Université catholique d’Argentine et l’IOR
Un autre incident évoqué dans mon livre se rapporte à l’Université catholique argentine, dont Bergoglio était chancelier ex officio en tant qu’archevêque de Buenos Aires. Son agent dans la place était Pablo Garrido : directeur financier de l’archidiocèse, Bergoglio lui avait confié la même tâche à l’université (il a été remercié en 2017). L’université, à la tête d’une riche dotation de 200 millions de dollars, fournissait à Mgr Bergoglio la force de frappe financière indispensable à ses tentatives en vue d’augmenter son influence au Vatican, dont les finances se trouvaient dans un état désastreux du fait des activités illégales de Mgr Marcinkus et de son successeur Mgr de Bonis. Entre 2005 et 2011, quelque 40 millions de dollars ont été transférés depuis l’Université catholique d’Argentine à l’Institut pour les œuvres de religion (l’IOR, dite Banque vaticane). Cette transaction devait constituer un dépôt, mais l’IOR l’a jusqu’ici traité comme une donation. (C’est uniquement depuis cette année qu’il se dit qu’on a commencé à remédier à ce détournement, mais seulement pour partie.) Pablo Garrido portait la responsabilité de ce transfert réalisé malgré les protestations des membres de l’université qui faisaient remarquer que celle-ci, en tant que fondation éducative, ne pouvait faire de donation à une banque étrangère. Tout comme l’affaire de la Sociedad Militar Seguro de Vida, il s’agit là d’un des épisodes financiers obscurs de l’administration Bergoglio qui méritent une enquête approfondie par les soins d’un chercheur qualifié.
3. Les comparses épiscopaux de Bergoglio
Un coup d’œil sur les proches collaborateurs du cardinal Bergoglio au sein de l’épiscopat de Buenos Aires se révèle tout aussi intéressant. Il faut d’abord considérer Juan Carlos Maccarone, fait évêque auxiliaire par Bergoglio dès le début de son mandat en 1999. En 2005, Maccarone fut déchu de l’épiscopat par Benoît XVI, après la découverte d’une vidéo le montrant en pleins ébats avec un prostitué homosexuel dans la sacristie de sa cathédrale. Pourtant, le cardinal Bergoglio prit publiquement sa défense, affirmant que le film était un montage destiné à faire tomber l’évêque en raison de son engagement politique à gauche. Maccarone – cela mérite d’être noté – affirmait pour sa part que tout le monde était au courant de ses activités sexuelles et qu’il avait été fait évêque malgré cela.
Joaquín Mariano Sucunza était lui aussi un ami et protégé du cardinal Bergoglio. Celui-ci l’avait sacré évêque (auxiliaire) en 2000, alors même qu’il était cité dans une affaire de divorce comme l’amant d’une femme mariée : le mari de ladite l’accusait d’avoir détruit leur mariage. Mgr Sucunza est cependant resté évêque auxiliaire ; il a même été nommé administrateur temporaire de l’archidiocèse en 2013 par le pape François lorsque celui-ci a été élevé au pontificat.
4. Protection des agresseurs sexuels
Il n’y a guère eu au cours de ces dernières années de délit portant plus gravement atteinte à la réputation des évêques que celui correspondant à l’accusation de ne pas avoir agi avec diligence à l’encontre des prêtres soupçonnés d’avoir abusé sexuellement d’enfants. Plusieurs évêques ont vu leur carrière fracassée dans ce cadre, et ce ne fut pas toujours dans des affaires ou leur culpabilité était évidente. Le pape François lui-même a annoncé une politique de « tolérance zéro » à cet égard : il est supposé avoir mis en place un nouveau règne de la transparence. Mais à y regarder de plus près on constate que l’histoire de sa propre carrière est parsemée d’épisodes qui méritent un examen tout aussi minutieux que ceux ayant entraîné la chute d’autres prélats.
Le premier cas à noter est celui du prêtre Rubén Pardo, signalé à un évêque auxiliaire de Buenos Aires en 2002 pour avoir invité un garçon de 15 ans chez lui et en avoir abusé sexuellement au lit. La mère de ce garçon a rencontré les plus grandes difficultés à faire prendre l’affaire en compte par les autorités ecclésiastiques ; elle était d’avis que le cardinal Bergoglio protégeait le prêtre fautif et s’indignait de ce qu’il ait fourni un logement à ce dernier dans une résidence du diocèse. Elle se plaignait d’avoir été expulsée par le service de sécurité alors qu’elle cherchait à parler avec le cardinal en sa résidence archiépiscopale. Le prêtre en question est mort du sida en 2005 ; en 2013, un tribunal de Buenos Aires a condamné l’Eglise catholique à verser des dommages à la famille pour compenser le mal qu’elle avait subi. La mère a porté ce jugement sur la gestion de l’affaire : « La détermination de Bergoglio, ce ne sont que des mots. » (Ese es el compromiso de Bergoglio : de la boca para fuera.)
L’affaire du P. Julio Grassi est elle aussi riche d’enseignements. Ce prêtre a été convaincu en 2009 d’agression sexuelle sur un adolescent. Le plus surprenant dans cette affaire, ce sont les efforts exceptionnels de la part de la conférence des évêques d’Argentine, sous la présidence du cardinal Bergoglio, en vue d’essayer de faire innocenter le P. Grassi, avec à la clef la commande d’un document de 2.600 pages à cet effet. Celui-ci fut produit devant les juges après qu’ils eurent déclaré Grassi coupable, mais avant qu’ils n’eussent prononcé la peine, un geste décrit par l’avocat Juan Pablo Gallego d’« exemple scandaleux de lobbying et de tentative de faire pression sur la cour ». Gardons-nous de nier l’importance de la défense des innocents face aux accusations fausses, mais ici, l’impression qui demeure n’est pas celle d’un prélat affichant une « tolérance zéro » face aux abus sexuels. De manière peut-être plus significative, on retiendra une remarque faite par le cardinal Bergoglio au rabbin Abraham Skorka et publiée en 2010, un an après la condamnation du P. Grassi : il affirmait qu’il « ne s’était jamais produit » de cas d’abus sexuels de la part de clercs dans son diocèse. C’est un exemple d’une habitude caractéristique de Jorge Bergoglio qui se débarrasse des faits embarrassants en niant leur existence.
Autre exemple de ce travers : il nous est fourni par le père d’un élève de l’école des Jésuites à Buenos Aires où le jeune Bergoglio avait enseigné au cours des années 1960. Quarante ans plus tard, Bergoglio étant devenu cardinal-archevêque, le père apprit de son fils que l’aumônier de l’école lui avait fait une proposition malhonnête au confessionnal. Le père signala l’affaire au cardinal, et fut choqué de constater que celui-ci ne prenait aucune mesure – ce qui correspond à une attitude de Bergoglio que nous retrouvons fréquemment dans des affaires d’inconduite de toutes sortes. Peu après, le père s’étonna d’entendre le cardinal Bergoglio répondre à une question posée lors d’une rencontre de parents de l’école, pour affirmer que le problème des abus sexuels et du clergé homosexuel était pour ainsi dire inexistant dans son diocèse.
A la lumière de ces faits, les révélations récentes quant à la complicité du pape François dans des affaires d’occultation d’abus sexuels aux Etats-Unis trouvent facilement leur place dans le puzzle. Cela correspond en tous points au caractère d’un homme qui tout au long de sa carrière a fait montre d’une totale indifférence face aux accusations de corruption du clergé lorsqu’elles étaient portées à sa connaissance. Si nous tenons compte de la manière dont il a assuré la promotion de Mgr Maccarone et de Mgr Sucunza, il n’y a plus à s’étonner de ce qu’il ait été un ami du cardinal McCarrick. Celui-ci, pendant les années précédant l’élection de Bergoglio au pontificat, avait déjà été sanctionné par Benoît XVI pour de nombreuses agressions sexuelles sur des garçons et de jeunes hommes, mais cela ne l’a pas empêché d’exercer son influence lors de l’élection de Bergoglio. Il est parfaitement conforme au personnage qu’une fois devenu pape, il ait choisi comme alliés de premier plan des prélats tels le cardinal Danneels, connu pour avoir occulté des abus d’enfants en Belgique, ou le cardinal Wuerl, dont le rôle aux Etats-Unis se révèle avoir été tout aussi trouble.
Et nous en revenons ainsi à ce fait : si les cardinaux avaient eu la moindre idée du contexte ecclésial du cardinal Bergoglio à Buenos Aires, ils ne lui auraient jamais donné leurs voix. Ils pouvaient certes ne pas avoir prévu l’attitude cavalière de Bergoglio vis-à-vis de la doctrine catholique. De toute façon, ils étaient à la recherche d’un homme qui sache s’attaquer aux questions compliquées qui avaient eu raison de Benoît XVI : les questions de la réforme financière et morale du Vatican et celle de la plaie envahissante des agressions sexuelles de la part du clergé. S’ils avaient eu connaissance du manque d’intégrité morale du clergé dont Bergoglio s’était entouré à Buenos Aires, des scandales financiers mis au jour dans son diocèse, de son inertie habituelle en présence de mauvais agissements, de son habitude de rejeter ceux qui venaient lui présenter leurs plaintes, de sa politique de l’autruche face à la critique, il leur aurait paru évident que de tous les candidats susceptibles d’avoir un profil de réformateur, il était bien le pire.
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