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Le cardinal Kasper (à droite) à Lucca |
Le cardinal Kasper, lors d’une
conférence publique à Lucca, non loin de Pise en Italie, lundi soir, a annoncé
la parution prochaine de l’exhortation post-synodale sur la famille. Souriant
et satisfait, il a déclaré :
« Dans quelques jours (le 19 mars) sortira un document d’environ de
200 pages où le pape François s’exprimera définitivement sur les thèmes de la
famille soulevés lors du dernier synode, et en particulier sur la participation
des fidèles divorcés et remariés à la vie active de la communauté catholique.
Ce sera le premier pas d’une réforme qui fera tourner une page par l’Eglise au
bout de 1.700 ans. »
« Nous ne devons pas répéter les formules du passé et nous
barricader derrière le mur de l’exclusivisme et du cléricalisme, l’Eglise doit
vivre notre temps et savoir l’interpréter », a-t-il
également déclaré selon le journal local Il
Terreno.
« En ce sens, sera fondamentale une revalorisation du rôle de la
femme qui devra avoir la possibilité d’accéder à des positions clef jusque dans
la vie administrative de la Curie et des diocèses. Dans la Curie romaine il y a
un dicastère sur la famille où il n’y a pas de présence de la femme ; cela
doit changer, les femmes sont une partie fondamentale de la famille », a
déclaré le cardinal Kasper.
Le modérateur de la rencontre, le
journaliste Raffaele Luise, en était tout enchanté. « Ce que nous avons eu la
chance de sentir (sic) ce soir à
Lucca d’un membre clef de la Curie est révolutionnaire », a-t-il commenté
après l’intervention du cardinal.
Que retenir de tout cela ?
D’abord que le cardinal Kasper est
au courant du contenu de l’exhortation. Avant lui, Mgr Paglia avait annoncé la
signature du texte pour le 19 mars, fête de saint Joseph, cela semble donc se
confirmer, même si des sources vaticanes (déjà
évoquées ici) avaient précisé que la publication serait pour le mois d’avril.
Chose répétée jeudi à des journalistes, parmi lesquels Edward Pentin, par le
P. Lombardi : celui-ci parle de la première quinzaine d’avril.
Deuxièmement : le cardinal
Kasper semble ravi. Cela ne préjuge pas réellement du contenu de l’exhortation,
ni même de l’accent mis – comme il l’annonce – sur la question des divorces
« remariés » qui est en quelque sorte « sa » question. De
la part du cardinal allemand, il peut s’agir d’une classique tentative de tirer
la couverture à lui. Il n’empêche : ses commentaires sont inquiétants.
On m’objectera qu’il ne sert à
rien de se préoccuper alors que le contenu de l’exhortation n’est pas encore
public et que le Saint Esprit assiste l’Eglise. Et je comprends cette attitude
de foi. Il y a cependant un tel faisceau d’événements et de déclarations qui
ont semé la confusion dans des domaines où il n’y a aucun lieu d’en mettre
qu’il me semble nécessaire d’évoquer l’éventualité d’un document décevant, ou
pire. Pourquoi ? Justement pour ne pas se laisser tenter par un manque de
foi ou d’espérance. L’exhortation ne sera pas revêtue de l’infaillibilité, le
pape peut, humainement, se tromper, ou livrer un enseignement qui manque de la
clarté dont notre monde a pourtant besoin. Justement, aussi, pour que nous
pensions à prier pour le pape et la lourde tâche qui est la sienne.
Le cardinal Kasper évoque un
changement qui « fera tourner une page à l’Eglise au bout de 1.700
ans ». Voilà qui est intéressant. Le chiffre n’est manifestement pas
choisi au hasard, il désigne une époque précise de l’Eglise ; il semble indiquer
une nouvelle pratique qui rompra avec ce que l’Eglise fait depuis – à peu près
– l’an 316.
A peu de choses près, note Robert
Moynihan d’Inside the Vatican, ces
1.700 ans renvoient au premier concile œcuménique, celui de Nicée en 325, le
mieux connu pour avoir proclamé la divinité du Christ contre l’hérésie arienne.
« Mais il y a un passage du
concile de Nicée qui concerne l’acceptation des personnes engagées dans un
second mariage », écrit Moynihan.
C’est le canon 8 : « Au
sujet des clercs de ceux qui s'appellent eux-mêmes les cathares le grand
concile décide, si jamais ils veulent entrer en groupe dans l'Eglise catholique
et apostolique, qu'on leur impose les mains, et qu'ils restent ensuite dans le
clergé ; mais avant tout ils promettront par écrit de se soumettre aux règles disciplinaires
de l'Eglise catholique et apostolique, et d'y conformer leur conduite, c'est-à-dire qu'ils devront communier avec
ceux qui se sont mariés en secondes noces et avec ceux qui ont failli pendant
la persécution, mais font pénitence de leurs fautes, pour lesquels on a
justement établi un temps d'épreuve et on en a fixé la modalité, afin qu'ils
puissent être admis a toutes les pratiques de l'Eglise catholique et
apostolique. »
Les « purs », les cathares de cette
époque-là étaient les partisans de Novatien, qui dénonçait le pardon donné à
ceux qui n’avaient pas tenu bon face à la persécution. Devant le refus de
l’Eglise de lui donner raison, il s’était fait ordonner évêque pour fonder sa
propre Eglise schismatique marquée par un manque éclatant de miséricorde.
Moyhihan poursuit : « La
doctrine du novatianisme était exactement la même que celle de l’Eglise
catholique, sauf pour ce qui était de refuser le pardon à ceux qui avaient
apostasié au cours des persécutions. Ils refusaient
également de communier avec ceux avaient divorcé et s’étaient remariés en tant
que chrétiens. »
Voilà donc la clef – très
probablement – des déclarations du cardinal Kasper. Kasper nostalgique d’un
temps où l’Eglise se montrait aussi miséricordieuse à l’égard des apostats
repentis que des « divorcés remariés », cette seconde attitude étant
depuis lors oubliée et perdue… Ce en quoi elle serait, sur ce chapitre,
« novatianiste », « cathare », attachée à une excessive
pureté de mœurs, et même une coupable dureté des cœurs…
Si telle est donc l’explication de
l’annonce de « page tournée »,
c’est-à-dire une rupture par rapport à une pratique ancienne, il y a là une
double tromperie. La première concerne l’alignement du cas des apostats
repentis, engagés dans un « chemin pénitentiel » qui aboutit au
retour à la communion parce qu’ils ont rompu visiblement et sérieusement avec
un reniement de leur foi, sur celui (supposé) des divorces remariés toujours
engagés dans leur second mariage, quoi qu'il en soit d'ailleurs d'un éventuel repentir, tant que celui ne provoque pas un changement de vie.
La deuxième est celle exprimée par
Moynihan dans son évocation de « ceux qui avaient divorcé et s’étaient
remariés en tant que chrétiens » : elle est fausse.
Le canon 8 du concile de Nicée ne
vise pas du tout les divorcés, mais les veufs et veuves, par définition libérés
des liens de leur premier mariage, qui se marient à nouveau. Le rigorisme des
cathares consistait précisément à récuser cette pratique : ils refusaient
la communion à ceux qui étaient dans cette situation. L’Eglise catholique,
elle, reconnaissait, comme elle reconnaît toujours, le remariage de ces
personnes se retrouvant seules et libres à l'égard des liens du mariage du fait du décès de leur époux ou épouse. Aussi
avait-elle mis comme condition au retour des cathares leur disposition à être
en communion avec ceux qui ne s’en étaient jamais éloignés, les veufs et veuves
remariés religieusement selon les lois de l’Eglise.
Le cardinal Kasper lui-même, en
proposant une nouvelle approche par rapport aux divorcés remariés lors de son
discours au consistoire en février 2014, a invoqué ce canon 8 dans le sens
rapporté par Moynihan. On peut penser qu’il n’a pas varié d’un iota par rapport
aux justifications qu’il apportait alors à sa proposition. Mais les études ne
manquent pas qui réfutent son point de vue. Et dans la foulée de son cediscours, le livre Demeurer
dans la vérité du Christ, cosigné par cinq cardinaux, des canonistes et des historiens (Artège, 2014) a synthétisé les éléments expliquant que l’Eglise
admet les remariages des veufs, mais non des divorcés.
La satisfaction actuelle affichée par le cardinal Kasper semble indiquer qu'il attend un assouplissement par rapport aux divorcés remariés, mais il ne s'agirait pas d'une « page tournée après 1.700 ans », mais d'une révolution et d'un rejet des paroles mêmes du Christ il y a 2.000 ans et de la pratique constante de l'Eglise, par une manipulation des mots et des faits.
On peut espérer qu'avec la grâce de Dieu, l'exhortation post-synodale n'entrera pas dans une telle voie de rupture. Mais on peut craindre des ambiguïtés.
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