24 novembre, 2014

Espagne : comment le monde du travail incite à l’avortement

Ou tu « le fais passer » ou tu perds ton boulot. Le message est simple : c’est celui qu’entendent des milliers de femmes en Espagne où une part importante des « interruptions volontaires de la grossesse », comme on l’appelle dans la loi, ne sont que le résultat des pressions des employeurs. C’est un cri d’alarme que lance la Fundación Madrina (Fondation Marraine) qui œuvre pour aider les femmes et les mères qui risquent « l’exclusion », rapporte Infocatolica. Sur les 4.000 femmes par an aidées par la fondation, 80 % ont un problème relatif à l’emploi. Et sur ces 80 %, la moitié sont précisément en difficulté en raison d’une maternité.
La crise aidant, il y a un véritable « harcèlement » à l’égard de la maternité. Pour Conrado Giménez, président de la fondation, l’une de ses conséquences les plus claires est l’avortement : « Il y a une relation de cause à effet très directe. En temps de crise, les gouvernements approuvent des lois pour augmenter le recours à la contraception et ils diminuent les aides à la maternité. » Les entreprises considèrent les mères qui travaillent comme moins rentables, surtout celles qui ont des enfants de moins de trois ans. « Leur absentéisme va de 2 à 20 %. Dans l’Union européenne, cela coûte 20.000 millions d’euros », assure-t-il.
Ce sont notamment les PME et les multinationales, mais aussi l’administration et le secteurs des médias où les conventions collectives sont très protectrices, qui pratiquent de manière explicite ou implicite ce « harcèlement » qu’Iñaki Piñuel, professeur à l’université d’Alcalá a pris sous sa loupe. Il est endémique pendant la grossesse mais se manifeste également lors du retour au travail. « Elles souffrent de représailles. On leur ôte leurs tâches, leurs avantages, les responsabilités, on les charge de missions de moindre valeur : la gamme de stratégies punitives est large. »
C’est une des causes du recul de l’âge de la maternité, pense le chercheur, et aussi du « très bas taux de natalité en Espagne ». « Le risque de pauvreté et d’exclusion augmente pour la femme » pendant la grossesse, confirme de son côté Conrado Giménez.
Destiné à faire pression sur les femmes enceintes, le harcèlement vise aussi à en faire des « exemples » pour leurs compagnes qui « y penseront à deux fois » avant d’envisager la maternité. « Ainsi, les représailles seront vues de toutes et elles feront leur effet », précise Piñuel, qui observe que la pression est exercée, sept fois sur dix, par d’autres femmes ; elles sentent qu’elles doivent punir leurs compagnes parce qu’elles-mêmes ont décidé de ne pas concilier (travail et maternité). C’est quelque chose de caractéristique et de curieux. »
Il cite des cas concrets, comme cette femme médecin interne qui, étant en formation, est tombée enceinte. C’est son tuteur qui a essayé de la forcer à avorter. L’affaire est toujours en cours… « Si la femme n’avorte pas, on passe aux représailles : refus de permissions, surcharge de travail », ajoute Piñuel : parfois il suffit d’expliquer qu’il vaut mieux ne pas avoir d’enfant si l’on veut réussir sa carrière.
Cette autre, mère célibataire de 31 ans, avait déjà un enfant lorsqu’elle est de nouveau tombée enceinte, de jumeaux cette fois. Elle travaillait dans un salon de coiffure. On lui a rendu la vie tellement impossible qu’elle s’est résolue à avorter : c’était cela, ou perdre son emploi. La date et l’heure était fixées – ce n’est qu’à la dernière minute qu’elle a changé d’avis, appelant la clinique pour dire qu’elle ne viendrait pas ? Elle a aussi prévenu son employeur. Qui lui a dit deux mots, définitifs : « Bonne chance. » L’aide de la fondation Madrina lui a permis de faire reconnaître ses droits, et elle a depuis trouvé un nouvel emploi, commencé une formation. Toutes n’ont pas cette chance.
C’est un harcèlement qui retentit sur la vie des couples : dans 50 % des cas, lorsqu’il se prolonge dans le temps, la situation se résout par un divorce, observe Conrado Giménez.
Iñaki Piñuel met en évidence un fait qui explique peut-être cela : le « stress post-traumatique » associé au harcèlement contre la maternité, stress difficile à soigner et qui risque de devenir chronique. « Troubles du sommeil, irritabilité, impossibilité de ressentir du plaisir ou de la joie, “flashbacks” » sur le harcèlement : « A la différence d’autres cas, socialement acceptés, le harcèlement maternel ne laisse pas beaucoup de traces, il est difficile à prouver : il arrive à un moment où la femme a besoin de toute son énergie pour prendre soin de ses enfants. »

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