02 novembre, 2011

Blasphème… ou non ?

“Sur le concept du visage du Fils de Dieu”

Plusieurs milliers de personnes ont répondu à l’appel à la manifestation de l’Institut Civitas à Paris, samedi après-midi, pour protester contre le déferlement de la christianophobie « culturelle ». Civitas est proche de la Fraternité Saint-Pie X, qui a été en pointe de la mobilisation des catholiques depuis dix jours à l’occasion de la représentation de la pièce de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du Fils de Dieu. Et l’on a vu de nombreux prêtres de la Fraternité venir prier avec les fidèles devant le théâtre de la Ville – lourdement subventionné par les deniers publics – comme au pied de la statue de Jeanne d’Arc d’où la manifestation s’est ébranlée pour aller vers la place du Châtelet, pour redire l’indignation des chrétiens devant cette pièce qui « culmine » avec le déversement d’excréments sur une superbe représentation de la Face du Christ par Antonello da Messina.

Il y avait donc la Fraternité Saint-Pie X – l’abbé Beauvais, curé de Saint-Nicolas, présent presque tous les soirs, l’abbé Toulza et bien d’autres – mais pas seulement elle : un soir ou l’autre, on a vu des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre (comme l’abbé Le Coq), des prêtres diocésains, des fidèles traditionalistes et d’autres qui le sont moins. Il y a même eu un groupe islamique, au nom du respect de la religion. Les médias ont vite trouvé la manière de discréditer cette indignation : elle vient des « chrétiens fondamentalistes ».

Et voilà que certains commencent désormais à crier à la « manipulation » de ces jeunes qui ont été amenés à manifester contre une pièce dont on nous dit qu’elle n’est pas si blasphématoire que cela. C’est le cas d’un prêtre, l’abbé Grosjean, du diocèse de Versailles, ou d’une chroniqueuse de Riposte laïque, Myriam Picard, qui ont choisi d’aller voir le spectacle et qui en sont sortis « bouleversés », chacun à sa manière, par la réflexion qu’elle induit sur la déchéance humaine et la bonté du Christ.

Il n’est pas question de mettre en doute ici la sincérité de ces opinions, mais sans perdre de vue qu’elles émanent de personnes qui a priori, n’ont pas d’hostilité vis-à-vis du Christ. Catholiques, prêts à entrer dans le jeu du dramaturge et du théâtre contemporain où tout est possible, surtout la transgression, et de préférence la transgression subventionnée, à partir du moment où cela fait surgir un « discours », une réflexion, quel qu’en soit le sens.

Le blasphème qui, en creux, rend hommage à l’existence de Dieu, nous en connaissons le concept. Il s’installe d’ailleurs de plus en plus dans les théâtres, les salles d’exposition, les installations d’art contemporain accueillies jusque dans les églises et dans les loisirs des jeunes – voyez le « gothique » et le Hellfest, qui peuvent être signe de désespérance autant que de volonté d’exprimer la haine du Christ, cela est entendu.

Il va de soi que la souffrance, la vieillesse, la maladie, l’apparente indignité du corps humain n’excluent pas Dieu. Cela fait des siècles que dans les Hôtels-Dieu – précisément – des âmes charitables accueillent les plus sales, les plus démunis, les plus répugnants sous le regard du Christ. Le Christ lui-même a assumé le visage de l’abjection en prenant sur Lui toute la misère des hommes. Le problème n’est pas là. Il est, fondamentalement, dans l’hypocrisie d’un message « artistique » que chacun doit pouvoir revendiquer d’interpréter à sa guise, en passant concrètement, objectivement, par une sorte de jouissive agression contre ce que notre foi a de plus sacré.

La pièce de Castellucci dure 55 minutes, tout le monde en a vu de larges extraits mis en ligne sur internet. Il n’est pas neutre de faire bombarder le visage du Christ avec des grenades en plastique par des enfants – et il est significatif que cette scène ait été prudemment enlevée entre Avignon, où elle fut donnée au Festival, et Paris, où les catholiques avaient préalablement manifesté leur refus, que ce soit devant les tribunaux, par le biais de l’AGRIF, ou dans la rue. Il n’est pas neutre d’y faire déverser des excréments, quel que soit le but poursuivi. Il n’est pas neutre, je dirais qu’il n’est pas acceptable de faire évoluer un vieillard sur scène en vidant ses intestins. Il est des gestes, des attitudes, des actes qui relèvent de l’intimité. L’« art » contemporain (et le cinéma pornographique) n’accepte pas ces limites. Et son pari de désacralisation, de profanation, de refus de toute pudeur et de toute contrainte est gagné dès lors qu’on accepte de dépasser le fait, pour rechercher l’intention.

C’est chacun de nos péchés, chacun de mes péchés qui souille le visage du Christ, piétine le Crucifié, crache sur le Rédempteur. Nous savons qu’Il est venu précisément pour nous laver de cela. Raison de plus – même pour « faire réfléchir » – de ne pas le mettre en scène de manière aussi excrémentielle, ajoutant l’abjection à l’insulte.

L’affaire de la pièce de Castellucci, on ferait mieux de l’analyser d’après les réactions de ceux qui n’aiment ni le Christ, ni la foi, et qui le disent. La manière dont les jeunes manifestants, qui se sont – à d’infimes exceptions près – contentés de chanter leur foi et demander qu’on ne les blesse pas en ce qu’ils ont de plus cher, ont été malmenés, conspués, ridiculisés, accusés, embarqués, gardés à vue, devrait davantage « poser question » que les défécations artistiques d’une pièce subventionnée. On les taxe de violence : « atteinte à la liberté artistique avec violence », voilà le délit dont nombre d’entre eux devront répondre, la seule « violence » retenue étant l’interprétation de chants religieux !

J’ai parlé avec l’un des 20 jeunes qui ont passé 48 heures en garde à vue, pour s’être levé au cours de la pièce, mercredi dernier, en disant « Halte au blasphème », avant d’entamer un « Je vous salue Marie ». Il a immédiatement suivi l’huissier qui l’invitait à sortir. Le conducteur du car de police qui l’emmenait au commissariat lui a indiqué : « J’ai honte de faire ce que je fais. » La police expliquait agir « sous pression ». Les truands qui voyaient les jeunes arriver au Palais de justice disaient, goguenards : « Tiens, encore un blanc : toi, du dois venir du théâtre ! »

Les voilà donc désignés comme fondamentalistes, violents sans violence, fascistes, tortionnaires – c’est ce que le Père de la Morandais a balancé lors d’une émission télévisée à l’avocat de l’AGRIF et à un jeune représentant de Civitas, qui les accusait de tout ce dont on accable « l’extrême droite » depuis cinquante ans.

La leçon de l’affaire est celle-ci : on peut tout dire et tout faire avec le visage du Christ, sauf le défendre et demander qu’on le respecte.

Aucun commentaire:

 
[]