Refus d'adoption homosexuelle à Emmanuelle B. : une décision ambiguë
Le conseil général du Jura est sous le feu des projecteurs : son nouveau président, Jean Raquin (divers droite) est accusé d’« homophobie » parce qu’au nom des services de l’institution qu’il préside il vient de refuser à une paire de lesbiennes un agrément d’adoption internationale. Emmanuelle B., institutrice, 47 ans, et Laurence R., psychologue scolaire, 44 ans, avaient fait ensemble cette démarche, la deuxième du genre. Malgré des rapports favorables des services sociaux et des psychologues rencontrés, le conseil général a estimé qu’il y avait un désaccord entre les deux femmes sur l’âge des enfants à adopter (ce qu’elles contestent) ; le conseil général reproche en outre à Laurence de se positionner en tiers dans la relation mère-enfant.
Les termes du refus – mais personne ne le souligne – laissent absolument pantois. Défendant la décision, Laurent Bourguignat, directeur de cabinet de Jean Raquin, s’inquiétait d’abord de souligner ceci : « A aucun moment, l’homosexualité n’est évoquée pour justifier ce refus. Je défie quiconque de trouver un propos homophobe dans la lettre du président. »
Préoccupation ahurissante dans la mesure où l’adoption homosexuelle est et demeure interdite en France, le Code civil disposant que « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux ». En l’occurrence, la demande d’adoption proprement dite était certes présentée par la seule Emmanuelle B. Mais elle a été traitée comme une demande à deux, puisque Laurence R. s’était associée à la procédure, et elle n’a pas été rejetée en tant que telle. Le conseil général du Jura au contraire a décidé que le projet ne tenait pas la route : en caricaturant on pourrait dire que c’est parce que l’enfant adopté n’aurait pas l’assurance de trouver une bonne seconde mère en la personne de la concubine de sa mère adoptante.
De vous à moi, il semble bien que le refus soit fondé sur l’homosexualité du couple, mais les contorsions de langage et de critères sur lesquelles se fondait le refus indique la très grande peur d’être condamné pour homophobie. C’est dire que l’économie générale de la question a déjà basculé en faveur de l’adoption homosexuelle.
C’est une longue histoire que celle de ces deux employées de l’Education nationale. Emmanuelle B. avait déposé seule une demande d’adoption en 1998, rejetée à l’époque (déjà) en raison du manque d’« implication » de sa concubine, et de l’absence de « référant paternel ». Une longue procédure avait abouti, en janvier 2008, à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour qui la référence implicite à l’homosexualité de la requérante était constitutive d’une « différence de traitement » qui, se rapportant « uniquement à l’orientation sexuelle », constitue une « discrimination » punissable selon la Convention européenne des droits de l’homme. Pris par la Grande Chambre de la CEDH, et à ce titre particulièrement solennel, l’arrêt consacrait en droit l’impossibilité pour les Etats membres de refuser une adoption au seul titre de l’homosexualité.
C’est une révolution dont Emmanuelle B. a bien sûr perçu la portée et c’est forte de cette décision qu’elle a de nouveau, le 28 avril 2008, déposé une demande d’adoption, faisant cette fois-ci intervenir sa concubine dans toute l’enquête administrative qui s’en est suivie. On n’oubliera pas de noter que le rapport du psychologue, de l’avis de Judith Silberfeld du magazine gay en ligne Yagg, était « dithyrambique ». Par le refus d’agrément, lit-on ailleurs sous sa plume, on a « interdit » à Emmanuelle B. « d’être mère »…
Les deux femmes se défendent de vouloir utiliser leur affaire pour faire avancer la cause de l’adoption homosexuelle, mais uniquement pour répondre à leur désir d’offrir un foyer à des enfants. Quoi qu’il en soit, leur manière de procéder est menée de manière à obtenir des décisions de principe. Elles ont d’ailleurs annoncé leur intention de saisir la terre entière : aux recours administratifs, s’ajouteront la saisine de la HALDE, celle du conseil des ministres chargé du suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH et le commissaire aux droits de l’homme.
Source : Présent du 4 février 2009.
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