25 mars, 2008

Affaire Chantal Sébire dans “Présent” (5)

Chantal Sébire : semer la confusion…


L’autopsie de Chantal Sébire, morte à son domicile alors qu’elle venait de réclamer sans succès une « aide au suicide » au tribunal de Dijon, a révélé qu’aucune cause « naturelle » ne peut être tenue pour responsable de son décès. Des analyses toxicologiques approfondies s’imposent, car le médecin ayant constaté son décès avait refusé de signer le permis d’inhumer. C’est d’ailleurs à sa demande que le procureur, qui voulait laisser le dossier clos, a ordonné une investigation dont les partisans de l’euthanasie, au premier plan depuis le déclenchement de cette triste affaire, dénonçaient en chœur le caractère « grotesque » ou « inutile ».

Ainsi parlèrent Gilles Antonowicz, vice-président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), avocat de Mme Sébire, et Jean-Luc Romero, son président qui se trouve être également le responsable UMP de la défense des droits homosexuels. Le médecin traitant de Chantal Sébire parlait, lui, d’« acharnement judiciaire » ; Roger-Gérard Schwartzenberg de « justice barbare » : voyez où sont les ennemis de l’homme, ce sont ceux qui veulent punir des tueurs là où eut lieu une mort choisie.

En réalité, tout dans l’affaire Sébire tend à semer la confusion dans l’opinion. Ne pas savoir pour mieux tout faire admettre. C’est de la même façon que Pierre Simon, l’ancien Grand-Maître de la Grande Loge de France s’avouait fasciné par l’idée que les femme recourent mensuellement à un nettoyage utérin, de façon à ne jamais savoir si elles avaient avorté ou non…

Ne pas savoir si Chantal Sébire est morte parce qu’elle ne pouvait plus vivre, ou parce qu’elle ne voulait plus vivre. Donner un maximum de publicité à sa volonté de recevoir une piqûre létale, tout en claironnant son « opposition violente » au suicide. Obtenir carte blanche de la justice, tout en se réservant d’affirmer après coup qu’aucune loi en France ne réprime l’aide au suicide. C’est que qu’a fait Gilles Antonowicz : « Même si l’on trouve quelqu’un qui a fait ça, cela finira par un non-lieu car il n’y a pas de délit d’aide au suicide en France. Cela n’existe pas. » Ce disant, il « oublie » le texte applicable en l’espèce : la non-assistance à personne en péril…

Confusion, encore, à propos des soins palliatifs dont la pauvre malade aurait pu bénéficier. Qu’elle a refusés, nous dit-on, préférant un départ express à « l’indignité » de la mise sous coma artificiel ou en conscience diminuée.

Chantal Sébire, il faut le dire, avait un profil très « exploitable » : à ses souffrances dont nul ne doutera du caractère aigu, s’ajoutait son image défigurée qui a été honteusement mise en scène par les médias. De là à la croire victime d’une odieuse manipulation, il y a un pas qu’on ne peut franchir à défaut d’avoir en mains son dossier médical : mais, volontairement ou non, il semble qu’elle ait davantage souffert qu’elle n’aurait pu.

Dans l’opinion, l’idée progresse selon laquelle les soins palliatifs sont insuffisants à soigner la douleur, ou dégradants.

Dans l’opinion, progresse encore le sentiment que certains gestes sont peut-être pénalement répréhensibles, mais destinés de toute façon à rester impunis : tel était le sens du non-lieu accordé à Marie Humbert qui voulait donner la mort à son fils. N’est-ce pas Jean Leonetti lui-même, auteur de la loi de 2005 sur la fin de vie, qui vient encore de plaider pour l’abandon des poursuites contre les auteurs « d’homicide par compassion » ? « Inscrire dans le droit français un droit à mourir serait non recevable », a-t-il répété, mais aussitôt : « En revanche, rien n’interdirait des dispositions spécifiques de dépénalisation de l’acte homicide dans des circonstances compassionnelles, qui mériteraient d’être codifiées et précisées. » Et d’ajouter : « L’euthanasie active n’existe pas, puisqu’il n’y a pas d’euthanasie passive. Seule l’euthanasie existe, et elle pourrait être définie, justement, par la mort donnée par compassion, le plus souvent par un médecin, à un malade qui le réclame en raison de souffrances intolérables. »

Si ce n’est pas une justification générale et de principe de l’euthanasie, les mots n’ont plus de sens !

Les évêques de France, et notamment le cardinal Barbarin, Mgr Rey, le cardinal André Vingt-Trois ne sont pas tombés dans ce panneau : ils ont « communiqué » vigoureusement sur l’affaire Sébire en réaffirmant le devoir du respect de la vie.

Mais d’autres confusions sont en train de s’installer. Au moment où plus de 7% des décès aux Pays-Bas sont désormais imputables à la « sédation palliative », les euthanasies que nous pourrions qualifier d’évidemment directes étant elles en recul (1,7% annoncées pour 2005), la nature de cette administration massive de calmants pose des problèmes au cas par cas.

Pierre-Olivier Arduin, expert des questions bioéthiques pour le diocèse de Toulon, estime que dans l’affaire Sébire elle a été à tort présentée par son avocat comme une « mise sous coma sans nourriture et eau jusqu’à ce que mort s’ensuive », alors qu’elle consiste à « induire une baisse de la vigilance de la personne », une alimentation assistée médicalement étant « prévue si nécessaire » (c’est-à-dire si le malade n’est pas à l’article de la mort).

On sait (et Arduin l’a lui-même souligné) que la loi Leonetti prévoit explicitement l’arrêt de l’alimentation du malade. On sait qu’aux Pays-Bas, la sédation palliative est souvent installée avec prévision quasiment au jour près du décès du patient. Chantal Sébire voulait mourir, et aux termes de la loi française elle aurait pu organiser ainsi son décès. Voilà qui mérite réflexion…


Article extrait du n° 6555 de Présent, du Mercredi 26 mars 2008

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