01 février, 2008

Le bon scolaire selon Attali

Un débat s'est ouvert sur les « droits à l'école » proposés par Jacques Attali parmi ses “300 décisions pour changer la France”, sur Le Salon beige, sur le blog d'Yves Daoudal et sur Liberté politique (ce dernier site se contentant de reprendre les idées développées par ceux qu'il contredit, sans les citer nommément). Pour mettre sur la table tous les élements je propose ici la chronique “Génération décervelée” consacrée à cette question.

Et pour que tout soit bien clair, je précise que je n'ai pas la prétention de condamner l'action de ceux qui se battent pour obtenir davantage de liberté scolaire, notamment par le biais du bon scolaire, et même en s'appuyant sur la “décision 6” d'Attali qui peut servir à mettre le sujet au centre de l'actualité. Mais il me semblerait très imprudent de ne pas en montrer (comme le fait Daoudal) les dangereux ressorts à peine cachés. N'est-il pas possible d'agir en montrant que l'on garde les yeux ouverts et en s'appuyant sur l'ensemble des forces qui, sincèrement et souvent depuis des décennies, ont défendu et cotinuent de se battre pour les droits des parents ?



La proposition de Jacques Attali d’instaurer des « droits à l’école » est passée quasiment inaperçue dans les gros médias, si ce n’est pour en critiquer la « logique de marché ». Seuls Yves Daoudal, sur son blog, et moi-même dans Présent, avons immédiatement souligné le caractère ambigu et dangereux de ce projet. Paradoxe, lorsque l’on sait que la revendication du bon scolaire est dans notre famille de pensée fort ancienne, qu’elle était au nombre des réformes urgentes réclamées par Itinéraires, puis par Présent, dès l’origine. Le Front national l’a inscrite à son programme (et même, en marge de la « majorité », le MPF). Alors pourquoi faire la fine bouche ? Sommes-nous donc d’éternels défaitistes, d’incorrigibles mécontents qui ne savent pas saisir une occasion quand elle se présente ? D’ailleurs, du côté des associations de défense des libertés scolaires ou des « écoles indépendantes », la « décision 6 » de la commission Attali est accueillie avec intérêt et, jusqu’à présent, sans la moindre réserve explicite, comme l’ouverture d’une brèche bienvenue dans le système ossifié de l’Education nationale. La situation me rappelle l’adoption de la loi Leonetti sur la « fin de vie », si bien accueillie à peu près partout jusque dans nos milieux : Présent avait alors été seul (à ma connaissance) à dénoncer, dès avant le vote de la loi, l’entrée de l’euthanasie par omission dans la légalité (Présent des 9 et 15 avril 2005). Deux ans plus tard, Mgr Vingt-Trois et le grand rabbin David Messas mettaient enfin en lumière, dans un document commun, cette immoralité de la loi qui autorise l’arrêt de l’alimentation d’un malade, considérée comme soin thérapeutique et non plus comme soin ordinaire. Puis Pierre-Olivier Arduin, en septembre 2007, y consacrait une analyse extrêmement approfondie, confirmant ce que nous disions depuis le départ. Pourquoi recommencer à taire la véritable guerre menée par la culture de mort ?

Les « droits à l’école » tels que les imagine la commission Attali ont certes la couleur et la saveur du « chèque scolaire » :

« Des “droits à l’école” seront attribués à chaque enfant et utilisables dans toutes les écoles : ce dispositif permettra d’établir une véritable liberté de choix, pour que chacun puisse bénéficier dans son voisinage d’écoles publiques et privées conventionnées. En pratique, l’Etat affectera aux parents une somme d’argent par élève. Chaque parent pourra l’utiliser dans un établissement public ou privé de son choix. Le conventionnement des écoles privées devra être très strict sur la nature des enseignements et le respect des valeurs de la République. Les parents pourront ainsi bénéficier d’une totale liberté de choix de l’établissement et profiteront de ce financement quel que soit leur choix. La Suède utilise déjà ce système efficacement », dit exactement la décision 6.

Si elle vient au secours de la volonté de « permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants », il est plus qu’imprudent de ne pas souligner que par ce biais, c’est-à-dire par la révision des contrats liant les écoles privées à l’Etat, c’est un contrôle accru qui s’exercera sur les établissements ; on sera « très strict sur la nature des enseignements et le respect des valeurs de la République ». Cela implique un droit de regard sur les programmes et sur le contenu de ce qui est enseigné, une mainmise serrée, insupportable lorsque l’on sait à quel point les programmes actuels contribuent au décervelage des enfants et que les « valeurs » enseignées sont celles de la non-discrimination absolue, du relativisme extrémiste et de la promotion de la culture de mort. La proposition d’Attali est une prise de jiu-jitsu : elle feint de céder à une demande de liberté pour imposer son exact contraire.

Preuve en est que, réagissant à mon interpellation lors de la présentation de son rapport à la presse, Attali précisa d’une voix blanche que seules seraient concernées les écoles aujourd’hui sous contrat, dans le cadre susdit, et à condition de respecter pleinement le principe de « laïcité ». On peut feindre de ne pas comprendre. On peut imaginer qu’à défaut de s’ouvrir aux écoles hors contrat, l’Etat va laisser plus de liberté aux écoles sous contrat. Folie ! La laïcité selon Attali, nous savons ce que c’est. Et il serait bien aventureux de l’opposer à une prétendue « laïcité ouverte » selon Sarkozy : d’abord celui-ci n’a pas choisi Attali par hasard pour modeler l’avenir de la France, et ensuite le respect universel et entièrement relativiste de toutes les religions professé par le Président revient en pratique à la laïcité républicaine telle que nous la vivons aujourd’hui…

Yves Daoudal, sur son blog, dénonçait vigoureusement l’attentisme des associations de défense des libertés scolaires comme « irresponsable ». Dans le cadre proposé par Attali, écrivait-il, « toute discussion, notamment sur le caractère catholique de l’école catholique n’a plus aucun sens. Les écoles privées ne seront conventionnées que si elles sont les mêmes que les écoles publiques ». Et pour ce qui est du hors-contrat, tout en montrant que la logique du rapport Attali est « que les parents utilisent obligatoirement les “droits à l’école” », il soulignait ceci : « Il est possible (mais ne n’est pas sûr) que dans un premier temps on tolère que des parents mettent à la poubelle “les droits à l’école” de leurs enfants et paient de leurs deniers une école non conventionnée. Mais les gestes ont un sens, les mots ont un sens. (…) Psychologiquement, c’est extrêmement différent de la situation actuelle, où des parents disent : bon, je paie des impôts pour l’Education nationale, mais je fais le sacrifice de payer en plus l’école de mes enfants. (…) Là, je saurai ce que j’ai entre les mains, et qu’on me permet peut-être de mettre héroïquement à la poubelle. »

Comme Daoudal, je ne pense pas que la proposition Attali soit sans conséquences pour les écoles vraiment libres. Et comme lui, je suis sûre qu’elle annonce un contrôle accru sur les écoles privées aujourd’hui « sous contrat ». J’ajouterai que tout le système vise non point seulement à donner aux parents un choix ou une illusion de choix, mais à changer le caractère des écoles libres et à limiter sévèrement leurs droits de recrutement, au nom de la « mixité sociale ».

Il ne faut pas en effet citer la « décision 6 » sans la « décision 153 » qui la complète explicitement : « Permettre l’installation d‘établissements privés conventionnés dans les quartiers. L’autorisation d’ouverture d‘établissements privés dans ces zones devrait pouvoir déroger aux restrictions nationales. En outre (cf. supra), il est proposé de permettre, dans un premier temps à titre expérimental, comme en Suède, l’installation dans les quartiers défavorisés d’établissements privés conventionnés, en accordant à chaque famille un financement global par élève. »

En clair : il n’est nullement proposé de lever la stricte limitation de la proportion d’écoles libres sous contrat à 20% du total, bien au contraire ; nous sommes dans le cadre d’une exception qui confirme la règle. Quant au bon scolaire, il servirait avant tout à mettre en place une discrimination positive de plus en faveur des banlieues ethniques, selon la logique constante du rapport Attali. On n’est pas plus clair.

La commission Attali a cité l’exemple de la Suède ; Jacques Attali y a insisté en répondant à ma question. Cet exemple mérite d’être étudié à fond avant de s’enthousiasmer pour ces faux « droits à l’école ». Certes, la Suède a multiplié le nombre de ses « écoles indépendantes » (souvent des entreprises commerciales, ou des écoles protestantes, quelques écoles catholiques mais aussi des écoles islamiques avec filles voilées…) ; leurs tarifs ne peuvent excéder le montant du « bon scolaire ». En contrepartie, elles doivent accueillir les enfants par ordre d’inscription (« premier venu, premier servi »), elles n’ont aucune possibilité de sélection, ni des familles, ni par rapport au dossier des élèves et encore moins en demandant leur adhésion à un projet religieux. Le ministre suédois de l’Education, Jan Bjorklund (centre droit), est même en train de fixer de nouvelles règles pour 2009 pour encadrer sévèrement l’enseignement religieux dans les écoles privées : strictement cantonné aux heures ad hoc, cet enseignement devrait éviter toute suggestion que les idées proposées puissent être objectivement vraies. Plus largement, toutes les autres matières devraient être à l’abri du « fondamentalisme » religieux : il serait ainsi interdit d’évoquer le créationnisme ou même la notion de « dessein intelligent » dans les cours de sciences où l’évolutionnisme est de rigueur. Ce pointilleux contrôle étatique est-il donc possible ? Mais oui : les écoles privées suédoises, pour être conventionnées, sont obligées de satisfaire sans faille aux objectifs de l’enseignement fixés par l’Etat, de respecter le principe étatique de la « démocratie » au sein de l’école, et celui de la tolérance et de la non-discrimination.

Ne pas le dire, c’est déjà se rendre complice.

JEANNE SMITS
Présent du 1er février 2008

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