30 mai, 2012

Sédation palliative : une “euthanasie lente” ?

Wim Distelmans, oncologue, spécialiste des soins palliatifs et de l'éthique, militant de l'euthanasie et un temps membre de la commission d'évaluation de l'euthanasie en Belgique, vient de publier une intéressante tribune dans le quotidien belge De Standaard. Il s'y inquiète de nouvelles manières de donner la mort, et plus précisément nombre de « sédations palliatives », qui ne sont pas « encadrées » par la loi sur l'euthanasie, et qui sont en train de prendre des proportions importantes jusqu'à représenter 10 % des décès en Belgique aujourd'hui, comme je l'annonçais il y a quelques jours ici. Le flou de la frontière entre l'euthanasie et la sédation palliative est enfin devenue un sujet. Je l'avais pour ma part évoqué pour la première fois dans Présent en mai 2007, article reproduit ici sur mon blog le 10 mai de cette année-là.

A cet égard les inquiétudes exprimées par Distelmans ressemblent à une manière de découvrir le pot aux roses. Comme il fallait s'y attendre le problème est désormais pris à l'envers : les partisans de l'euthanasie se plaignent du manque de cadre légal entourant la sédation palliative, dénoncent son hypocrisie et demandent qu'on y aille plus facilement et plus franchement de la mise à mort médicale.

Pour mémoire, la sédation palliative consiste en l'administration de quantités croissantes de morphine associées à du Dormicum qui endort profondément le patient, en principe elle s'accompagne du retrait de la nourriture et de l'hydratation ; la procédure peut être librement décidée par le médecin s'il y a impossibilité d'obtenir l'accord du patient ou de ses proches. Elle peut être parfaitement licite en ce qu'elle vient soulager une douleur insupportable en toute fin de vie. Elle sera appliquée par exemple lorsqu'un malade du cancer des poumons menace de mourir d'asphyxie : plongé dans le coma afin qu'il n'en ressente pas la douleur et la panique. Elle peut aussi constituer une mise à mort lente, décidée volontairement et sciemment en vue d'obtenir la mort du patient qu'au passage elle prive de la conscience de sa propre fin.

Comment expliquer qu'en ces dix dernières années, le nombre de sédations palliatives ait été multiplié par deux, demande Distelmans.

« Contrairement à l'euthanasie, la sédation palliative n'a pas pour objectif de mettre fin à la vie. Mais dans la pratique la fin de la vie en est souvent l'issue. Car les patients s'habituent aux sédatifs, de telle sorte que l'on augmente régulièrement les doses afin d'éviter le réveil. Au cours de ces augmentations de dosages, au bout du compte personne ne sait plus de manière certaine si le patient est mort de sa maladie, du fait des ajustements des dosages ou par une combinaison des deux. On applique là une “aide à mourir miséricordieuse” mais l'image idéalisée de la mort “confortable” grâce à la sédation palliative n'est souvent pas là dans la pratique. »
Distelmans évoque ici le cas d'un nouveau-né, Ella-Louise, dont la mort fut particulièrement difficile dans le cadre pourtant d'une sédation palliative : il aurait fallu, assure le spécialiste, que le médecin mette fin à la sa vie, quitté à appliquer le « protocole de Groningue » qui aux Pays-Bas autorise la mise à mort de nouveau-nés très atteints.

« Dans certains établissements de soins l'euthanasie demeure tabou. La raison en est souvent idéologique, sans compter la peur d'avoir une mauvaise réputation. Les hôpitaux craignent la mort… comme la mort : “On n'y meurt pas, on y guérit.” Lorsqu'un patient réclame l'euthanasie, on lui propose la sédation palliative. Les patients les plus fragiles n'ont alors pas toujours la force de s'en aller dans un autre hôpital et ils acceptent l'alternative. Et la direction peut annoncer que l'euthanasie n'est quasiment pas à l'ordre du jour chez eux. 
La sédation palliative sert aussi de manteau de Noë pour la mise à mort. Puisque l'on met fin à la vie d'autrui – même sans qu'il le sache – mais qu'on n'a pas le droit de désigner l'acte ainsi. Supposez qu'après des semaines de sédation l'on trouve que le processus de la mort s'étire trop. Discrètement, le médecin augmente la médication pour arriver à une dose mortelle, mais pour le monde extérieur cela reste une “sédation palliative”. C'est pourquoi d'aucuns appellent cyniquement celle-ci “l'euthanasie lente” (slow euthanasia). 
Le nombre de sédations palliatives est en augmentation inquiétante ces dernières années. Certains médecins semblent les préférer à l'euthanasie : on peut les pratiquer que le patient le sache ou non, on peut mettre à la vie sans avoir à dire de quoi il s'agit, on peut même se leurrer soi-même jusqu'à considérer que le patient est mort “spontanément” au cours de la sédation et dans tous les cas on n'a pas besoin de faire une déclaration officielle à une commission fédérale. Surtout, cela nous permet à nous, médecins, de reprendre la main. Nous pouvons de nouveau, comme jadis dans la zone grise du crépuscule, prendre nos décisions de manière autonome et sans concertation. »
Wim Distelmans propose de soumettre les décisions de sédation palliative à un même processus de contrôle a posteriori que l'euthanasie, histoire de mieux respecter la volonté des patients. Cela aurait au moins le mérite de la clarté. En même temps cela révélerait que l'euthanasie n'est que la pointe de l'iceberg : il y a aujourd'hui près de 8 fois plus de sédations palliatives que d'euthanasies en Belgique.

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