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11 décembre, 2006

Mgr Chaput, la démocratie et la laïcité

L’archevêque de Denver, Mgr Charles Chaput, s’est exprimé au cours d’un « Prayer Breakfast » en Californie la semaine dernière, pour évoquer Noël. Il y évoquait les notions de tolérance, de démocratie et de laïcité dans le sens où ils sont aujourd’hui compris aux Etats-Unis, mais on pourrait transposer bon nombre de ses réflexions à la vieille Europe, et particulièrement à la France où la séparation de l’Eglise et de l’Etat atteint des proportions bien plus graves qu’outre-Atlantique. Voici un extrait de sa conférence, traduit par mes soins.



Notre vocabulaire civique devient de plus en plus brutal et confus d’année en année.

Le langage que nous utilisons dans le discours public est important. Les mots sont comme le pinceau de l’artiste. Ils sont un outil puissant. Ils peuvent former ou déformer la conscience humaine.

Les mots « tolérance » et « consensus » sont des principes d’action démocratique importants. Mais ce ne sont pas des vertus chrétiennes, et ils ne doivent jamais prendre le pas sur d’autres mots comme la charité, la justice, le foi et la vérité, ni dans notre vie personnelle, ni dans nos choix publics.

En voilà encore, un de ces mots : choix. Le choix est en général une bonne chose. Mais ce n’est jamais une fin en soi. Le choix est sans valeur – c’est même une forme d’idolâtrie – si tous les choix possibles sont mauvais ou n’ont pas de sens.

Voici un autre mot : pluralisme. Aujourd’hui le pluralisme sert de mot codé pour obtenir que les chrétiens la ferment dans la vie publique par un sens dévoyé de la courtoisie. Mais le pluralisme est un simple facteur démographique. Ce n’est pas une idéologie. Et il n’est jamais une excuse valable qui nous autoriserait à nous taire à propos de nos convictions morales fondamentales.

Encore un mot : communauté. La communauté est davantage qu’une collection de personnes. La communauté exige le respect mutuel, un avenir partagé, et la soumission réciproque aux besoins les uns des autres basée sur des principes et des croyances partagées. Ce n’est pas simplement un joli nom pour un regroupement catégoriel. Parler de la « communauté pour le droit à l’avortement » est à peu près aussi intelligent que d’évoquer « la communauté des grands fabricants de tabac ».

Et voici encore des mots : bien commun. Le bien commun n’est pas la somme de ce que la plupart des gens veulent ici et maintenant. Le bien commun est ce qui constitue la meilleure source de justice et de bonheur pour une communauté et pour ses membres à la lumière de la vérité. On ne sert jamais le bien commun en tuant les membres les plus faibles d’une communauté. On ne le sert pas non plus quand les appétits et les comportements des individus membres d’une communauté obtiennent le droit de saper la vie de la communauté elle-même.

Prenons enfin un dernier mot : démocratie. La démocratie ne signifie pas la mise de côté de nos croyances religieuses et morales pour le bien de la politique dans la sphère publique. Elle exige exactement l’inverse. La démocratie dépend du fait que des gens de caractère se battent pour leur convictions dans la sphère publique : légalement, éthiquement et de manière non-violente, mais avec force et sans chercher à s’en excuser. La démocratie n’est pas Dieu. Seul Dieu est Dieu. Même la démocratie est soumise au jugement de Dieu et aux vérités de Dieu sur le sens de l’homme et sur sa dignité. Les passagers d’une voiture peuvent démocratiquement décider d’aller dans la mauvaise direction. Mais ils sont tout aussi morts – avec ou sans le choix majoritaire – s’ils tombent dans un ravin.

(…)

Ces dernières années, certaines personnes dans les deux grands partis politiques voudraient faire porter la responsabilité des conflits dans la vie publique américaine par les fidèles des religions. Ils argumentent ainsi : la religion est si puissante et si personnelle que dès lors qu’elle entre dans la vie publique de façon organisée, elle divise les gens. Elle repousse. Elle polarise. Elle sur-simplifie des problèmes complexes. Elle crée de l’amertume. Elle invite à l’extrémisme. Et pour finir elle viole l’esprit de la Constitution en brouillant cette séparation de l’Eglise et de l’Etat qui empêche les Américains de glisser vers l’intolérance.

L’argument continue en affirmant qu’une fois libérés du poids de l’interférence religieuse, citoyens et responsables matures peuvent entamer un discours raisonné, en laissant de côté la superstition et les obsessions personnelles afin de choisir les meilleures voies pour le plus grand nombre. L’Etat se trouvant au dessus du tribalisme religieux et moral, c’est lui qui est le plus apte à garantir les droits de tous. Une sphère publique complètement laïcisée constituerait la forme adulte de l’Expérience américaine.

Voilà ce que l’on voudrait nous vendre. Et voici la réalité…

Premièrement, il existe des différences fondamentales entre les institutions publiques « non-sectaires » et l’idéologie laïciste contemporaine. Tous peuvent vivre avec celles-là. Mais aucun chrétien en pleine faculté de ses moyens mentaux ne devrait vouloir vivre dans ce cadre idéologique. Chaque fois que l’on entend un tollé déclenché par la peur irrationnelle d’une Eglise établie, cela signifie que quelqu’un cherche à éliminer les fidèles d’une religion ou leur communauté de la discussion publique.

Deuxièmement, l’Expérience américaine – plus que n’importe quel autre Etat moderne – est le produit de concepts et de traditions formées par la religion. Elle ne peut survivre longtemps sans respecter la source de cette tradition. Une vie publique pleinement laïcisée impliquerait la politique des puissants pour les puissants parce qu’aucun principe permanent ne peut exister dans un vide moralement neutre.

Enfin, la laïcité n’est pas vraiment moralement neutre. Elle est activement destructrice. Elle sape la communauté. Elle s’attaque au cœur de ce qui fait l’humanité. Elle rejette le sacré tout en se prétendant neutre par rapport au sacré. Elle ignore les questions les plus basiques du sens de vie en société et du sens de la vie personnelle en les considérant comme des lubies privées. En outre, elle ne fonctionne pas – et ne peut, par sa nature, fonctionner – comme le principe de vie d’une société. Et quoi qu’en dise sa propre propagande, elle n’a jamais été le résultat naturel, évolutif, historique du progrès de l’humanité.

 
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