L'avortement est-il un droit en France ?
Le Salon beige se faisait récemment l'écho du dernier article de Pierre-Olivier Arduin, responsable de la Commission bioéthique et vie humaine du diocèse de Fréjus-Toulon, dans La Nef, sur l’avortement. Il y écrit que l'avortement est en France simplement dépénalisé, et non un droit comme l'affirment les associations féministes. Cette affirmation ne me paraît pas exacte pour de multiples raisons que j'avais d'ailleurs développées dans Présent en 2001 lors de l'adoption des lois Aubry qui ont profondément remanié le droit de l'« interruption volontaire de grossesse ». C'est un débat d'une grande importance, sur le plan juridique, car de la manière dont on considère la question dépend largement la manière d'y réagir. Ci-dessous, voici l'article que je publie dans Présent daté de demain en réponse à La Nef, en toute confraternité et avec beaucoup de respect pour le travail et l'engagement de Pierre-Olivier Arduin, avec le souci d'arriver à un débat courtois sur la question.
La dernière livraison de La Nef contient une intéressante analyse de Pierre-Olivier Arduin, responsable de la Commission bioéthique et vie humaine du diocèse de Fréjus-Toulon, sur l’avortement. Sous le titre « Repenser le débat », il demande que la « chape de plomb » sur le « crime abominable » de l’avortement soit levée. Le débat, dit-il en substance, est aujourd’hui possible à propos de la tragique stabilité des chiffres de l’avortement, qu’aucune politique liée à la contraception ne modifie. Possible et facilité par la répugnance des plus jeunes médecins à pratiquer des « IVG ». Doit aussi « faire effraction dans l’espace public et médiatique » la souffrance engendrée par le syndrome post-avortement. Ce débat, « il appartiendrait d’ailleurs à l’Eglise de France, dans la richesse de toutes ses composantes, d’en être le principal protagoniste », assure Pierre-Olivier Arduin, discrètement critique.
Dans la mesure où « l’Etat n’est pas prêt à abolir la loi sur l’avortement », Arduin propose que les efforts immédiats portent sur la révision de la loi Veil-Aubry afin de l’assortir de mesures dissuasives et d’une exigence d’entretien obligatoire dont la fonction explicite serait dissuasive afin que la femme candidate à l’« IVG » connaisse toutes les aides publiques, actuelles et nouvelles, mises à sa disposition pour garder son enfant. Ce serait assurément un moindre mal. Et c’est, en somme, la position prise par nombre de « pro-vie » qui, pour des raisons diverses, ne veulent pas s’aventurer sur la revendication de l’abrogation des loi sur l’avortement.
Mais je reste perplexe devant la manière dont, au fond, Arduin justifie cette position. Voyez plutôt :
« Sur le plan juridique, écrit-il, nous ne devons pas oublier que la législation en vigueur, présentée fallacieusement par les lobbys pro-avortement comme un droit, ne constitue jamais qu’une dépénalisation de l’avortement. Nous sommes bien dans un régime dérogatoire, qui même si nous ne l’approuvons pas, ne saurait être confondu avec un régime d’autorisation. »
Cela était assurément vrai pour les deux premières moutures de la loi : celle de 1975 et 1979, qui prévoyaient une dépénalisation pour les femmes en état de « détresse » et ceux qui pratiqueraient des « IVG » sur elles dans les conditions définies par la loi, et maintenait les sanctions pénales frappant l’avortement au titre de l’article 317 du Code pénal.
Puis est venu nouveau Code pénal, entré en vigueur en 1994. Le délit d’avortement provoqué en tant que tel en a disparu. Il est remplacé par l’article 223-10 ainsi rédigé : « L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende. » La perspective est ainsi totalement renversée : le délit n’est plus réprimé en tant qu’il porte atteinte à l’enfant à naître, mais en ce qu’il ne respecte pas la volonté de la femme, qui donc a contrario s’exerce librement tant que les conditions de la légalité de l’« interruptions » sont respectées.
L’article 223-11, lui, réprime toute « interruption » illégale de la grossesse, mais seulement sur autrui, rien n’étant dit de la femme qui s’avorte elle-même ou qui demande et subit un tel avortement. Pour elle, le délit d’avortement n’existe plus.
La situation deviendra encore bien plus nette avec les lois Aubry entrées en vigueur en juillet 2001. L’article 223-10 est abrogé. Seul est donc considéré comme un délit le non-respect de la volonté de la femme.
Disparaissent quasi toutes les dispositions du Code de la santé mettant une limite à l’avortement : l’entretien obligatoire préalable devient facultatif pour les majeures, le délit de provocation à l’avortement n’existe plus (puisque le délit d’avortement a disparu et que le mot « avortement » ne figure même plus au Code pénal), la publicité pour l’avortement est autorisée, l’objection de conscience est retreinte puisque les médecins refusant de pratiquer l’acte doivent non plus seulement en avertir leurs patientes mais les diriger vers un médecin qui accepte de pratiquer des avortements, et les chefs de services de gynécologie-obstétrique publics sont tenus de les organiser. Les sanctions qui subsistent pour les « IVG » pratiquées en dehors des conditions légales, ne s’appliquent pas aux femmes demandant l’avortement et leur répression est organisée par le Code de la santé publique. Il n’y a pas beaucoup d’exemples de procès à ce titre et il faut bien souligner que le fait qu’en certaines circonstances l’IVG demeure illégale ne change rien au fait qu’elle soit à tous égards traitée comme un droit tant qu’elle respecte les conditions de la loi.
Loin d’être considérées comme des délits éventuellement excusables, voire systématiquement excusés, les « interruptions volontaires de grossesse » pratiquées dans les conditions prévues par la loi bénéficient même d’une protection spécifique aggravée : les sanctions pour délit d’entrave à toute interruption légale de la grossesse ont été doublées sous le régime de la loi Aubry, et le champ de l’entrave a été fortement élargi, puisque toute pression, même morale ou psychologique, tendant à empêcher le projet d’une femme ayant choisi d’avorter, est passible de peines d’amende et de prison.
C’est ce qui me faisait écrire, dans Présent du 1er juin 2001, que le « droit à l’IVG » avait été « définitivement voté ». Parce que l’exception devenait la règle. Que la protection de l’enfant à naître, pour ténue et hypocrite qu’elle soit, cédait le pas à la protection absolue de la décision d’avorter de la femme. Que rien ne l’empêche, en fait ni en droit, d’avorter pendant les délais légaux : à l’époque la presse s’était focalisée sur leur allongement, mais ce n’était pas l’aspect le plus condamnable de la loi comme nous l’écrivions alors.
Ce débat est important. Il s’agit de savoir sur quoi on se bat, et pourquoi. J’espère que Pierre-Olivier Arduin sera prêt à s’y engager.
Source : www.present.fr.
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