23 janvier, 2010

Marches pour la vie à Paris et à Washington : quelques réflexions


Plus  de 300.000 personnes à la Marche pour la Vie : commentaires en français et photos sur Americatho

L’an dernier j’ai eu la chance et le privilège d’y être présente. Cette fois-ci j’ai pu suivre quelques bons moments de ce rendez-vous annuel des pro-vie américains en direct sur EWTN ; cela n’a évidemment rien à voir avec les bruits, la couleur, l’ambiance, les regards échangés, l’impression de force paisible qui se dégage de cet interminable cortège quand on se trouve en son sein. Mais à l’heure où la Marche pour la Vie française semble être à un double tournant – pour ce qui est du succès numérique croissant, mais aussi des choix tactiques – il me semble nécessaire de confronter les deux… démarches.

La Marche française est « apolitique et aconfessionnelle ».

La Marche américaine ne met en avant aucune religion, mais donne largement la parole aux responsables de chacune, afin que les autorités morales puissent donner le véritable fondement de  l’action tendant à faire respecter les droits naturels de l’être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Car s’il n’y a pas de vérité qui nous transcende, qu’est-ce qui pourrait bien mettre un frein à nos revendications individuelles et à la loi du plus fort ? Si Dieu ne nous a pas donné une âme et s’il ne nous a pas donné sa loi pour dire les conditions de notre bonheur, qu’est-ce qui nous distinguerait des animaux, qu’est-ce qui nous imposerait des devoirs d’humanité ? Si Dieu n'existe pas, tout est permis ; si  la loi divine ne nous éclaire, pourquoi ne pas nous conformer à la volonté du plus grand nombre ?

Pour les Américains, même s'ils invoquent beaucoup la volonté populaire (de plus en plus hostile à l'avortement) cette vérité n’est ni dérangeante ni considérée comme un obstacle à un combat unitaire. La Marche de Washington 2010 accueillait aussi bien des catholiques que des anglicans, des orthodoxes, toutes sortes de protestants, des juifs et même des athées. En réalité, la majorité des participants semble bien être de confession catholique mais – esprit de liberté américain oblige – cela ne gêne personne puisqu’on se fixe sur l’objectif à atteindre, et cela n’empêche pas que chacun ait la parole, jusque sur le podium où se tiennent les discours initiaux. De vrais discours où l’on oublie le politiquement correct (surtout les rabbins, qui tiennent le langage le plus cru). La présence sur ce même podium de dizaines de prélats catholiques, et le nombre de prêtres, religieux, religieuses, souvent accompagnés de leurs paroissiens, de leurs collégiens ou de leurs étudiants, présents dans le cortège, montre quelle est la vraie source de la force qui anime ces marcheurs.

Et qu’on ne me dise pas qu’ils viennent juste s’y promener pour retrouver des copains ou des semblables. Dans le froid glacial du Washington hivernal, où la Marche a connu plus de neige, de pluie, de boue et de mauvais temps que d'épisodes froidement ensoleillés comme l’an dernier, souvent après de très longs déplacements depuis les quatre coins des Etats-Unis, voire une nuit de prières, la pénitence est aussi au rendez-vous. Rien de spectaculaire, bien sûr. Mais c’est l’expression tangible et communautaire d’un engagement, qui aide les jeunes à comprendre qu’ils ne sont pas seuls, ni démodés, et qui appelle chacun à l’action.

La Marche américaine n’a pas une coloration politique donnée. Puisqu’elle en est à sa 37e édition, des administrations républicaines et démocrates se sont succédé, et des présidents qui, pour être plus ou moins pro-vie ou (comme Obama) pro-avortement, n’ont pas rendu possible la fin de la légalité de l’avortement, tandis que le nombre de victimes n’a pas cessé d’augmenter.

Mais que la démarche soit politique, cela ne fait pas le moindre doute : élus des Etats et élus fédéraux ont le droit de s’exprimer à la tribune du moment qu’ils sont là et qu’ils souscrivent aux « principes de vie » qui animent les organisateurs de la Marche depuis le début. On cherche clairement à renverser une jurisprudence à valeur « constitutionnelle », on soutient non moins clairement toutes les initiatives légales ou judiciaires visant à limiter les effets de la légalisation de l’avortement.

Preuve que ces démonstrations de force et de présence publique ne sont pas inutiles, le débat actuel sur l’Obamacare, où de façon plus ou moins sournoise on cherche à introduire le financement de l’avortement par l’argent des contribuables, n’a pas pu occulter cette question. Celle-ci a provoqué des études, des analyses, des prises de parole, bref un travail où les spécialistes ont multiplié leurs efforts, sachant qu’un nombre considérable de personnes étaient derrière eux. Jusqu’à la Conférence des évêques catholiques qui pas à pas, évalue et donne son opinion sur les moutures du projet en cours.

Vous rappelez-vous le débat sur le remboursement de l’avortement en France ? Il n’a pas été nul, mais il n’a pas attiré 100 000 personnes dans la rue. Vous rappelez-vous le débat sur les lois Aubry qui ont fait de l’« IVG » un droit ? Le problème n’était même pas correctement analysé, puisque l’on s’est focalisé sur une histoire d’allongement de délais, personne ou presque ne s’inquiétant du bouleversement total de la législation autorisant l’avortement et le faisant disparaître, en tant que tel, du code pénal. Il y eut une manifestation (organisée à l’appel de Bernard Antony) : je me rappelle cette soirée pluvieuse près de l’Assemblée. 400 personnes en tout et pour tout, pour l’honneur. Parmi les milliers et les milliers d'absents qui auraient bien pu venir ce soir-là, je veux bien croire que beaucoup étaient d'accord avec le thème de cette manifestation priante, mais craignaient d'être assimilés aux mouvements initiateurs. Nous crevons de cette peur et de cet ostracisme ; je crains qu'ils ne continuent de nous diviser longtemps.

Ce qui frappe encore dans la démarche américaine, c’est la très grande diversité des gens présents et des modes d’expression. Après les allocutions et les chants (live) depuis le podium dressé au bout du Mall, la Marche s’ébranle (en 2010, vu l’affluence, sur deux parcours distincts) pour rejoindre la Cour suprême où des femmes regrettant avoir avorté apportent courageusement et simplement leur témoignage.  Il n’y a pas de sonorisation unique. Pas de slogans repris par tous. Beaucoup prient,  d’autres chantent, et dans une ambiance qui n’est pas moins dynamique qu’à Paris, une incroyable variété d’affiches, slogans, bannières, voisinent avec les pancartes proposées par l’organisation centrale (tels « je regrette mon avortement », « les femmes regrettent leur avortement », « choisis la vie »…). Et contrairement à ce que l’on pourrait croire si l’on tenait compte des « excès » attribués au mouvement américain pro-vie, il n’y a guère d’images de fœtus avortés : l’an dernier, je n’avais vu qu’une affiche fixe sur le parcours faisant voisiner des photos explicites, mais pas horribles, avec des images du Christ en croix.

Cette diversité m’a semblé apporter, bien davantage qu’un défilé uniforme, une impression de nombre et de coopération en vue d’un bien commun. Sans doute les organisateurs imposent-ils certains critères. Mais ceux-ci tiennent plus d’une demande d’adhésion de chacun ou de chaque groupe dans le respect de son individualité, qu’en un choix tactique, diluant tel ou tel aspect du message, imposé au plus grand nombre. L’exclusion n’est pas de mise, ni la honte de voisiner avec tel ou tel. Toutes les manières de défendre la vie sont présentes : depuis les associations caritatives d’aide aux mères jusqu’aux médecins et professionnels de santé qui s’engagent à ne pas pratiquer l’avortement (ni prescrire de contraceptifs); et encore la faculté de droit catholique « Ave Maria » qui cherche à enseigner non seulement le droit, mais la loi naturelle et les fondements moraux de la loi ; ceux qui prient près des avortoirs, ceux qui réclament la vérité pour les femmes ayant subi un avortement, qui ont besoin de pardon et de guérison ; les groupes de pression et les simples particuliers qui ne supportent pas la mise à mort quotidienne de 3.000 tout petits aux Etats-Unis. Là comme ici, ce sont nos fils et nos filles…

Il y avait d’ailleurs des Français à cette marche : l’association « Droit de naître ». Quoi qu’on pense de son mode d’action, on note que celle-ci n’est pas forcément la bienvenue dans une manifestation française. Aux Etats-Unis, pas de problème. En France, on perçoit une sorte de cordon sanitaire qui fait reléguer en fin de défilés ceux qui, comme Laissez-les-Vivre, SOS Tout-petits, préfèrent la prière aux slogans pour dénoncer cette immense tragédie des temps modernes.  A Washington, la douleur des femmes ayant subi un avortement n’est pas niée, elle est accueillie avec compassion et dans la vérité. En France, j’ai perçu dans le discours de mouvements comme l’Alliance pour les droits de la vie un refus de qualifier l’IVG de meurtre ou de crime, une réticence à participer dans des marches réclamant l’abolition de la loi Veil : est-ce une force, un choix prudent, ou bien une façon (bien involontaire !) de pérenniser le problème ? Devant un désastre de cette ampleur, n’est-il pas plus charitable de hurler la vérité : ce sont nos fils et nos filles qui meurent… Pourquoi cela empêcherait-il le respect des personnes et la compassion pour toutes les victimes de ce crime organisé ?

A Washington, la condition pour participer, c’est finalement l’acceptation d’une défense de la vie intègre et sans arrière-pensées. Cela veut dire de ne se contenter d’aucune négociation, puisque les vies que d’aucuns voudraient « négocier » pour obtenir un peu moins d’avortements ici ou là ne leur appartiennent pas, soulignait Nellie Gray, fondatrice de la marche, devant les caméras d’EWTN. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas soutenir une mesure qui aura pour effet de réduire le fléau (comme la campagne pour l’interdiction de l’avortement par naissance partielle, particulièrement barbare, qui a mobilisé beaucoup d’Américains) mais oblige à être sans ambiguïté aucune sur le but recherché et sur sa propre opposition totale à l’avortement légal.

« Pas d’exceptions, pas de compromissions » : en restant fermement attaché à ce principe qui oblige à dénoncer l’avortement pour ce qu’il est, l’esprit qui anime la Marche pour la Vie américaine reste vivace et a su marquer des points.

Je sais qu’en France ce discours n’est pas tenu, ou alors relégué parmi les « extrémismes », au motif que cela passerait mal et ternirait l’image du mouvement pro-vie de faire autrement. Je n’en suis pas si sûre : les grands médias ne sont pas moins, mais pas non plus davantage à gauche qu’outre-Atlantique, et quelle que soit l’enveloppe, le contenu sera dénoncé comme intégriste, traditionnaliste, intolérant.

Nous nous entourons de précautions oratoires, et il y a des enfants qui meurent : en 34 ans, a-t-on obtenu une seule loi pour limiter en quoi que ce soit l’accès  l’avortement, une seule grande action nationale pour venir en aide aux futures mères ? Sommes-nous vraiment si libres et si adultes face à ces grands enfants naïfs de catholiques Américains capables de passer tous leurs samedis auprès d’un avortoir, pour que le massacre cesse et que les femmes ne se blessent pas à vie ?

Nous sommes, je le crois, atteints d’une forme de laïcité sournoise, qui nous fait croire non pas que notre foi n’a pas sa place dans la sphère publique, mais en nous persuadant qu'elle ne nous permettra pas d'y être entendus : cela nous empêche, pratiquement de l’y affirmer haut et fort, « à temps et à contre-temps », « prêts à rendre compte de l’espérance qui est en nous ». Non pour condamner ni juger les personnes, mais parce que nous n’avons pas le droit de nous taire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

VOTRE ANALYSE EST D'UNE JUSTESSE PERCUTANTE. AUX USA AUSSI IL Y A EU PAR MOMENTS DES APPROCHES DANS LE DISCOURS PRO-VIE QUI BAIGNAIS DANS LE ''POLITIQUEMENT CORRECT''.LES RESULTATS ONT TOUJOURS BALANCÉS ENTRE LE MITIGÉ ET LE PITOYABLE. lORSQUE LE DISCOURS S'EST RADICALISÉ, LES RESULTATS ONT SUIVI. EN BON FRANÇAIS IL N'Y A RIEN DE MIEUX QU'APPELER UN CHAT : UN CHAT.
AU QUEBEC NOUS SOMMES MALHEREUSEMENT AFFECTÉS DE LA MÊME MALADIE QUE NOS COUSINS D'OUTRE-ATLANTIQUE AVEC LA MÊME QUALITÉ DE RESULTAT Q'OBTIENNENT NOS COUSINS.UN DISCOURS EDULCORÉ,ASEPTISÉ, NE PEUT QUE FAIRE LE JEU DE PRO-AVORTEMENT(C'EST AINSI QU'IL FAUT LES APPELLER ET NON AVEC L'EUFEMISME PRO-CHOIX) ÊUX MÊME S'EVERTUENT A CACHER DE TOUTES LES FAÇONS POSSIBLES LE CÔTÉ HORRIPILANT DE L'ACTE QU'ILS PROPOSENT AUX FEMMES ET ILS ARRIVENT JUSQU'A DIRE QUE C'EST UN CHOIX DE SANTÉ POUR LA FEMME. PRO-VIE DU MONDE ENTIER UNISSON NOS FORCES POUR COMBATTRE CETTE CULTURE DE MORT SOUTENUE ET PROPAGÉE A TRAVERS LA PLANETE PAR DES FORCE DESTRUCTRICES. REVEILLONS NOUS ET AGISSONS TANT QUE NOUS EN AVONS ENCORE LA LIBERTÉ DE LE FAIRE.

Montcalm a dit…

Les excès du mouvement pro-life américain est surtout dû aux évangéliques radicaux, arrivés relativement tard (années 1986, avec le lancement de l'Opération Rescue), et non aux catholiques, meneurs d'actions pacifiques dès 1973.

Notre société française, laïcisée - pour ne pas dire laïcarde - et rationnelle n'est pas la société américaine imprégnée de religiosité et ouverte aux dialogues confessionnels. Nous ne pouvons pas utiliser les mêmes armes ni les mêmes stratégies sur ce terrain. Mais cela ne doit pas nous décourager à agir et à continuer de ce battre pour la vie !

 
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