08 octobre, 2012

Un bon prix Nobel… Des questions tout de même

Un lecteur me demande de commenter une nouvelle d'importance : l'attribution du prix Nobel à deux scientifiques, le biologiste Sir John Gurdon, 79 ans, et le médecin et chercheur Shinya Yamanaka, 50 ans, grâce à leurs recherches sur la reprogrammation nucléaire, une technique qui permet de transformer des cellules adultes spécialisées en cellules souches non spécialisées (cellules pluripotentes induites ou iPS). Ces cellules permettent de se passer de cellules souches embryonnaires, qui dont la « récolte » suppose la destruction d'embryons humains.

Sir John Gurdon
Yves Daoudal commente cette nouvelle sur son blog.

John Gurdon a cependant fait sa première découverte majeure en ce domaine en « clonant » une grenouille : en 1962, il avait transplanté le noyau une cellule mature d'intestin de grenouille dans un œuf de grenouille préalablement vidé de son propre noyau ; l'œuf s'était développé pour devenir un têtard en bonne santé. Cela avait suggéré que la cellule mature contenait toutes les informations nécessaires pour « fabriquer » une grenouille complète avec tous ses différents organes et cellules.

La nouvelle a suscité ce commentaire insolite de la part de Julian Savulescu, plus connu (notamment sur ce blog) pour ses prises de position transgressives : professeur d'éthique pratique à Oxford, il a déclaré : « Ce n'est pas seulement un saut de géant pour la science, c'est un saut de géant pour l'humanité. Yamanaka et Gurdon ont montré comment la science peut être pratiquée de manière éthique. Yamanaka a pris aux sérieux les inquiétudes éthiques des gens à propos de la recherche sur l'embryon et a modifié la trajectoire de la recherche vers un chemin qui est acceptable par tous. Il ne mérite pas seulement un prix Nobel de médecine, mais un prix Nobel d'éthique. »

Certains bioéthiciens estiment cependant que les iPS peuvent poser des problèmes éthiques dans la mesure où les cellules pourraient être reprogrammées pour devenir des gamètes (ovules ou spermatozoïdes) ; ou encore parce qu'elles sont obtenues au prix d'introduction de nouveau matériel génétique ; certains estiment même qu'elles ressemblent par trop à des embryons. Une objection rejetée par exemple ici au motif que les iPS ne forment que des corps embroïdes et ne pourraient se développer en tant qu'embryon si elles étaient implantées dans un utérus de femme. 

Ce à quoi Gregory Kaebnick, éthicien du Hastings Center, répond en note :

« Les cellules pluripotentes induites ne sont certainement pas comme des “clonotes” (clones obtenus après transfert nucléaire depuis une cellule somatique, ndlr) et nous ne sachons pas qu'elles puissent jamais produire des êtres humains complets. Mais nous ne savons pas non plus qu'elles ne puissent pas produire des êtres humains complets, au fur et à mesure que nous apprenons de nouvelles manières de les créer et de les contrôler. Clairement, ni les « clonotes” ni les cellules iPS ne deviendraient des personnes à moins d'être traités exactement de la bonne manière. Ou bien supposons que les cellules iPS soient capables de produire toutes les cellules d'un être humain, et qu'elles ne deviennent effectivement pas de personnes simplement parce qu'elles ne produisent pas certains tissus additionnels, “extra-embryonnaires” nécessaires pour soutenir l'être humain en développement. D'une façon ou d'une autre, si nous nous inquiétons de savoir si les “clonotes” peuvent devenir des êtres humains, alors il paraît prématuré de dire que nous n'avons aucune préoccupation à propos des cellules iPS. La science ne s'est pas encore assez développée pour pouvoir le faire. Mais si nous sommes réellement à l'aise à propos des cellules iPS, alors peut-être avons-nous mal formulé nos inquiétudes morales à propos des clonotes. Cela n'aurait rien de surprenant. Nos catégories morales n'ont pas été développées pour englober des choses comme les “clonotes” et les cellules iPS. »

Cette mise en garde croisée éclaire peut-être les raisons de l'enthousiasme de Savulescu…

Par ailleurs, les iPS, tout comme les cellules souches embryonnaires et contrairement aux cellules souches adultes réimplantées sur leur « donneur », posent des problèmes de rejet immunologique et peuvent également se développer de manière indésirable, soit en produisant des tissus différents de ceux escomptés soient en se développant de manière cancéreuse.

Mais pour revenir à des choses plus légères, notons, pour le bonheur des cancres qui ont pourtant de l'ambition, le jeune Gurdon, à 15 ans, désespérait son professeur de sciences à Eton. Son bulletin scolaire de cette année-là comportait cette appréciation : « Je crois que Gurton a l'idée de devenir un scientfique ; à en juger par ses performances actuelles cela est tout à fait ridicule ; s'il ne peut pas apprendre des faits biologiques simples, il n'aura aucune chance de faire le travail d'un spécialiste, et ce serait du temps passé en pure perte, à la fois pour lui et pour ceux qui auraient à l'enseigner. » Cette année-là, racontait-il en 2006, il avait eu la pire note en biologie de son niveau. « Parmi 250 personnes, arriver dernier de la dernière classe, c'est vraiment quelque chose, et d'une certaine façon c'est là le plus remarquable des accomplissements qu'on pouvait m'attribuer. »

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