05 octobre, 2011
L’Eglise catholique – promis ! – n’entend pas « dresser la liste des candidats excommuniés » pour la présidentielle et les législatives de l’an prochain : c’est en tout cas l’engagement pris par le cardinal Vingt-Trois qui présentait lundi matin à la presse le document présentant l’avis du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France sur ces échéances. Derrière la boutade, un choix : celui de donner des grandes pistes de « réflexion » (et non des « orientations ») afin d’appeler les électeurs à faire un choix « responsable » qui dessinera la société de demain : « L’enjeu, c’est l’avenir, savoir ce qui sera bon pour vos enfants. Que souhaitez-vous pour que vos enfants aient une vie heureuse ? »
Le document cosigné par une petite dizaine d’évêques comporte deux parties bien distinctes : un message intitulé « Elections : un vote pour quelle société » et une liste d’« Eléments de discernement ». Leur ton n’est pas le même. Les « éléments de discernement », qui « probablement doivent constituer des éléments de décision » comme le disait prudemment le cardinal, se distinguent par une certaine netteté et d’ailleurs s’ouvrent sur les trois « points non négociables » à peu près tels que Benoît XVIles avait dégagés dans un discours du 30 mars 2006, et dans le même ordre. En tête, la« Vie naissante » et donc le respect de la vie : « Il est impératif que les autorités publiques refusent l’instrumentalisation de l’embryon. De même, l’avortement ne peut en aucun cas être présenté comme une solution pour les mères en difficulté. »
Puis « la famille », et le mariage naturel, dont le rôle structurant pour la société est souligné. « En créant l’être humain “homme et femme”, Dieu a suscité une relation de complémentarité à la fois biologique et sociale qui se retrouve dans toute la société. La différence sexuelle de l’homme et de la femme est fondatrice et structurante de tout le devenir humain. (…) La famille, fondée sur l’union durable de l’homme et de la femme, doit être aidée économiquement et défendue socialement car, à travers les enfants qu’elle porte et qu’elle éduque, c’est l’avenir et la stabilité de la société qui sont en jeu. »
En troisième position : « L’éducation. » Elle implique « la liberté et la responsabilité des parents », qui doit notamment se traduire sur le plan scolaire par « le respect de la liberté de conscience, des enseignements respectueux de la dignité et de la beauté de la vie humaine ».
Les autres éléments répertoriés sont présentés de manière plutôt nette aussi : le paragraphe sur « l’environnement » demande au nom du respect de la création, et en citant Benoît XVI, que les « prouesses techniques » dont la société est capable soient« respectueuses de “l’écologie humaine” ». Sur « l’immigration », tout en demandant que les étrangers qui se présentent soient accueillis « avec respect et sérieux » et en affirmant que l’on ne se borne pas à une « fermeture protectrice des frontières », le document reconnaît qu’une « régulation des migrations est nécessaire » et déplore avant tout que « tous ne puissent pas survivre dans leur pays ».
A propos du « handicap », il met en garde contre le « dépistage prénatal systématique » et rejette avec force ce que le cardinal Vingt-Trois a clairement désigné comme « l’élimination systématique » des handicapés avant leur naissance.
Au vu de tout cela j’ai posé une question au cardinal, qui venait d’affirmer que la politique est l’art de la négociation et que c’est ainsi qu’il faut envisager les choses à l’approche des élections. Puisque les « points non négociables » de Benoît XVI figurent en tête des « éléments de discernement », et comme on cherche en vain un mouvement politique qui mettrait en avant leur respect dans un contexte législatif où ils sont déjà tous contredits, le catholique n’a-t-il pas des raisons d’être pessimiste et d’estimer ne pouvoir en choisir aucun ?
« Pessimiste, c’est dommage… », répliqua-t-il. S’il y a une occultation de ces questions, m’a répondu le cardinal, c’est aux électeurs de les replacer dans le débat, mais : « Il ne faut pas se tromper de débat, il est politique. » Pas d’affirmation tranchante : « Nous ne sommes pas dans un débat à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. » Nous ne pouvons pas avancer l’autorité de l’Eglise, poursuivit-il : « Nous n’avons pas d’autre capacité que celle de convaincre ; nous pouvons être convaincus qu’il y a des points non négociables, mais c’est aux électeurs d’arbitrer. »
Derrière le côté un peu méprisant de la réponse – à vrai dire je m’y attendais – on notera tout de même le fait que le cardinal n’a pas dit qu’il n’existe pas de points non négociables même si – et c’est une contradiction – tout son discours suggérait que l’on puisse passer outre, à l’heure du vote, puisqu’il faut bien faire un choix.
A ce stade on se pose d’ailleurs forcément la question du côté « négociable », à l’heure de voter, d’autres principes donnés par Nos Seigneurs les évêques. Serait-il envisageable, par exemple, de passer outre à ce que leur message – qui m’a semblé à la fois plus bavard, plus adepte des généralités mais aussi plus convenu dans sa volonté de faire avec la transformation de la société – dit de l’accueil de ceux qui sont d’origine culturelle différente ?
Le cardinal Vingt-Trois, dans sa présentation, s’est défendu de vouloir promouvoir quiconque en déclarant à propos des candidats : « Je ne suis pas un de leurs partenaires. Et je ne souhaite pas devenir un élément de leur affiche électorale. »
Mais en même temps, comme ligne de force de cette réflexion qu’il a voulu soumettre aux électeurs – les catholiques et ceux qu’intéresse le message de l’Eglise – il a malgré tout souligné « les grandes orientations que nous estimons utiles et nécessaires » pour choisir « entre une société fermée, protectionniste, attachée à la défense, bec et ongles, de ses avantages par rapport au reste du monde » et une « société ouverte » : « Ce serait gravement irresponsable que chaque pays se replace dans son pré carré en feignant d’ignorer le monde qui l’entoure. » Même si cela est susceptible de plusieurs interprétations il est difficile de ne pas y voir un rejet, par allusion, du Front national. Et de lui seul. Ce n’est pas négociable, ça ?
Un peu plus tôt, d’ailleurs, le cardinal Vingt-Trois avait évoqué le « sentiment des “vieux Français” qui se trouvent bousculés dans leur conception du monde » par l’arrivée de personnes qui sont d’une autre croyance, d’une autre culture, alors que notre « République une et indivisible doit apprendre à le devenir avec les apports culturels des autres ».
Retenons pour finir que le cardinal s’est référé à la doctrine sociale telle que l’Eglise la dégage depuis 150 ans mais en rappelant qu’elle « remonte à bien plus loin si l’on tient compte de toute la tradition théologique de l’Eglise ». Voilà qui pourrait donner d’autres éclairages sur les rapports entre l’Eglise et la chose publique…
Article paru dans Présent daté du 4 octobre 2011.
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