24 octobre, 2015

Ettore Gotti-Tedeschi parle des environnementalistes, de la gnose, de la guerre contre la religion catholique et du synode : un entretien exclusif

Chers lecteurs, je vous propose aujourd'hui un texte exceptionnel, à méditer alors que le synode sur la famille se termine et que la confusion qui l'entoure est loin d'être dissipée. Ettore Gotti-Tedeschi, économiste, financier, banquier et ancien directeur de l’IOR (Institut des œuvres religieuses, la banque du Vatican) a bien voulu m'accorder une longue interview. Dans cet entretien passionnant, il propose un regard original et lucide sur le monde d’aujourd’hui. Un regard d’économiste frappé par la dimension malthusienne de la crise qui n’en finit pas, et un regard de chrétien qui voit la logique infernale des événements en cours. Je vous invite à découvrir ce texte et à le partager. Et je remercie chaleureusement Ettore Gotti-Tedeschi de bien avoir voulu réserver les propos ci-dessous à ce blog. – J.S.



— Ettore Gotti-Tedeschi, vous avez parlé récemment  du risque d’une Troisième Guerre mondiale, mais en soulignant qu’elle a déjà éclaté et qu’il s’agit d’une guerre contre la vraie foi. Parlons d’abord de ceux qui mènent cette guerre de l’extérieur : qui sont-ils ? Par quoi sont-ils animés ?
— J’ai en réalité évoqué un danger, mis en avant surtout par la culture laïque qui, dans le contexte actuel de la mondialisation, voit les fondamentalismes religieux, les nationalismes et les racismes comme sources du risque d’une troisième guerre mondiale. On dirait qu’à ce stade de la mondialisation, interrompue et déformée par les crises économiques, l’on redoute un processus d’autoprotection de la part des nations, des cultures, des ethnies, en même temps que l’on recherche l’exact opposé : l’homogénéisation morale, culturelle, législative, religieuse, et naturellement aussi celle du modèle de gouvernement.
Ce sont surtout les modèles sociaux à forte identité (comme la famille) ou des valeurs morales et religieuses qui se réfèrent à des dogmes (catholicisme, islam) qui se trouvent en travers de cette « nécessité ». Le processus de relativisation culturelle et religieuse s’oppose donc surtout à la religion catholique « absolutiste » : le pape y est « infaillible », la liberté individuelle y est subordonnée à la Vérité, la conscience ne vaut que si elle est formée par le Magistère de l’Eglise, cette Eglise qui est apostolique et qui a le devoir d’évangéliser.
Ces religions dogmatiques et absolutistes dont on suppose qu’elles peuvent donner naissance à des conflits dans le monde globalisé, il faut donc y substituer une religion universelle, commune à tous : l’environnementalisme, qui non seulement rassemble l’humanité tout entière, mais qui relativise – et paganise même – les religions. Et qui correspond à la phase de « désendettement », de deleveraging des systèmes économiques de post-crise. L’environnementalisme est malthusien, il est immanentiste, c’est-à-dire qui se touche du doigt…
— Quels sont les leviers de cette guerre ?
— C’est la gnose qui coordonne cette « guerre » contre la foi catholique : c’est la « connaissance », celle que le fameux serpent voulait donner à Adam et Eve. La gnose se propose donc de modifier la Création imparfaite. Les leviers utilisés – scientifiques, techniques, culturels – sont divers. Ils se sont focalisés par le passé sur la croissance de la population (pendant les années 1970 avec le néomalthusianisme), alors qu’aujourd’hui ils semblent s’occuper de la dégradation de l’environnement due à l’homme, « cancer » de la nature. En réalité, il s’agit d’une guerre contre la foi. Mais parce que la foi catholique défend la dignité et la valeur unique de l’homme fils de Dieu, le véritable ennemi à combattre est la créature. Pensons à la Genèse, qui dit : « Et Dieu créa l'homme ; il le créa à l'image de Dieu ; il les créa mâle et femelle. Et Dieu les bénit, disant : Croissez et multipliez, remplissez la terre, et dominez sur elle ; soyez maîtres des poissons de la mer, et des oiseaux du ciel, et de tous les bestiaux. » La gnose répond en opposant la théorie du genre au « masculin et féminin » ; la théorie malthusienne au « Croissez et multipliez » ; la théorie environnementaliste au « Remplissez la terre et soumettez-la » ; la théorie animaliste à « Soyez maîtres de tous les êtres vivants ». Voilà les quatre leviers utilisés par la gnose pour combattre les religions qui croient en la Genèse (les religions judéo-chrétiennes). L’environnementalisme devient en fait la religion de la gnose : il est l’incarnation sur terre de l’ange rebelle et tentateur de la Genèse…
— Y a-t-il aussi à votre avis une guerre contre la foi à l’intérieur même de l’Eglise et si oui, comment se manifeste-t-elle ?
— Cela me paraît évident. Mais ce sont les papes eux-mêmes qui l’ont affirmé au cours de ces dernières décennies. La guerre contre l’Eglise a été menée jusqu’à il y a, disons, cent ans, depuis l’extérieur. Les ennemis de l’Eglise se sont rendus compte que persécuter l’Eglise revenait à créer des martyrs qui la rendaient plus forte. Ils ont ainsi compris qu’il serait plus facile et plus efficace de s’insinuer à l’intérieur et de modifier leur stratégie d’attaque. Le pape Léon XIII a vu des démons sur le dôme de Saint-Pierre ; Paul VI a senti les fumées de Satan ; Jean-Paul II et Benoît XVI ont vu la saleté, et perçu les ennemis dans leur dos. François dénonce les quinze maladies de la Curie vaticane… Comment se manifeste cette guerre ? Surtout en cédant devant les pressions de la modernité, en acceptant que le magistère soit relativisé et qu’il y ait une séparation entre la doctrine et la pratique, en cédant sur les thèmes anthropologiques, la sexualité, la loi naturelle, etc. Le monde veut une Eglise consolatrice et charitable plutôt que maîtresse avant tout. Une Eglise qui obéit au monde aidera la doctrine catholique à se transformer en éthique socialement utile, et à devenir elle-même un organisme sans but lucratif. Pauvre, naturellement, de telle sorte qu’elle sera inutile pour les pauvres, que ce soit sur le plan spirituel ou matériel.
— Êtes-vous préoccupé par les attaques contre la famille, largement victorieuses déjà dans le monde sécularisé, mais qui aujourd’hui semblent porter au cœur même de l’Eglise ?
— C’est même ma plus grande préoccupation, puisque, privée de la famille naturelle et catholique, la société elle-même perd son identité et se déresponsabilise, elle perd ses aspirations et tout ce qui la motive. Du point de vue économique cela mettrait fin au cycle économique vertueux – fait de production-épargne-investissement-redistribution interne dans le sens de l’assistance d’assistance, l’auto-production du rendement, etc. – qu’engendre l’existence de la famille lorsqu’elle possède et gère ce cycle. On a vu au cours de ces trente dernières années comment la famille a été empêchée de se développer : nous sommes devenus pauvres, ignorants et moins autonomes. Le fait est que la famille s’oppose au contrôle de l’individu et de la société par le « pouvoir », de telle sorte qu’elle est accusée de créer des ruptures sociales et des inégalités jusque dans l’éducation subjective qu’elle donne à ses membres. On l’accuse aussi de priver la femme de sa liberté de s’exprimer par le travail (?). Elle est accusée d’être obsédée par le sacrement de l’indissolubilité, etc. C’est pourquoi ce qui sera mis en avant au cours du synode sur la famille est préoccupant. L’impression de beaucoup de théologiens experts est que l’on veut aller vers une conception de la famille qui adopte un modèle « néo-luthérien » : c’est l’intention de récupérer les divorcés, d’accepter une tolérance du péché qui devient même salvifique, c’est l’avilissement du sacrement du mariage mais aussi de ceux de la confession et de l’Eucharistie. La famille ne se soutient qu’en dehors de toute confusion, les prêtres sont encouragés à sanctifier la famille et non à justifier l’erreur et le péché. La miséricorde signifie – avant tout – « corriger », et non seulement pardonner. Mais va-t-on pardonner même à ceux qui ne se sont pas repentis ? Il est indispensable qu’il y ait un Magistère sur ces questions, mais aussi que la pratique, l’action, ou la pastorale, ne le contournent et ne le contredisent pas.
— En tant qu’économiste, vous avez fait le lien entre le rejet de la loi naturelle, le refus de la vie, et les crises économiques que nous vivons, spécialement en Europe. Pourquoi ?
— C’est très simple. Je vais répondre par une question : comment le PIB peut-il croître si la population ne croît pas ? Les réponses évidentes ou démenties par la réalité mises à part (comme la croissance de la productivité et les exportations), la vraie réponse est unique. C’est celle que nous avons pu voir au cours de ces trente dernière années : le PIB, si la population ne croît pas, ne peut progresser qu’en faisant progresser la consommation individuelle. Cela s’est produit en inventant le phénomène du « consumérisme » qui a réduit l’homme à sa seule satisfaction matérielle, et non plus sa satisfaction intellectuelle et spirituelle. Pour en arriver là il a fallu détruire l’épargne, en la transformant en consommation ; en rendant le travail précaire, parce que la production a été transférée vers des pays à bas coût de production pour importer des biens à des prix plus bas. A la fin il a fallu arriver à faire consommer de plus en plus à crédit, ce qui a rendu la famille de plus en plus fragile. Par voie de conséquence la population a vieilli, les coûts fixes ont augmenté – santé et pensions – absorbés par une croissance proportionnelle des taxes qui ont pesé de plus en plus lourd sur le pouvoir d’achat et les investissements, ce qui a aggravé encore le cycle. Voilà ce qui arrive lorsqu’on nie l’une des lois naturelles les plus importantes de la Création.
— Pour sortir de ces crises, la première réponse consisterait-elle en ce que les familles retrouvent leur stabilité, leur vocation et leur fécondité ? Est-ce humainement possible ?
— Humainement, oui. Peut-être qu’avec de meilleures incitations économiques en ce sens, les choses iraient mieux. Mais il reste toujours le problème socioculturel : la famille est désacralisée, et cela rend difficile la mise en œuvre de ce projet. Par ailleurs nous savons bien qu’il n’est pas facile de ramener l’homme au vrai sens de la vie. C’est ce qu’affirme Benoît XVI dans Caritas in veritate, lorsqu’il explique que pour sortir d’une crise, ce ne sont pas seulement les instruments qu’il faut changer, mais l’homme… Dans Lumen Fidei il explique qui doit le faire, et comment : l’Eglise, avec la prière, le Magistère, les sacrements…
— Vous avez réagi à l’encyclique Laudato si’ en montrant le lien entre consumérisme et exploitation de l’environnement, entre malthusianisme et pauvreté. Quelle réponse concrète peut-on apporter à cette situation, alors que les familles nombreuses peinent à vivre dans des sociétés où tout favorise la famille de petite taille et où les femmes sont poussées à travailler en dehors de chez elles ?
— Je répondrai en paraphrasant la célèbre question : « Qui de l’œuf ou de la poule est apparu en premier ? », faut-il être riche pour faire une famille et des enfants, ou devient-on riche en faisant une famille et des enfants ? La réponse, cette fois, je vais la laisser au lecteur afin qu’il réfléchisse…
— Que pensez vous du concept de « décroissance », très en vogue dans certains milieux catholiques ?
— Mais nous sommes déjà en décroissance depuis sept ans ! La crise économique a révélé le bluff de la croissance des trente dernières années, qu’on peut évaluer à près de 30 %. L’explosion de la crise a entraîné un désendettement (« deleveraging ») équivalent. Que faut-il faire de plus ? Attention cependant au concept économico-social  d’une décroissance voulue, imposée, et peut-être même béate. J’en parle toujours en rappelant que Caïn aussi était pour la décroissance. De fait il a tué Abel parce que celui-ci était de trop : il dégradait l’environnement en élevant trop de brebis, il polluait l’air en immolant trop d’animaux en sacrifice à Dieu – en les brûlant…
— Vous avez parlé d’une « gnose du XXIe siècle ». Pourriez-vous la définir ? N’y a-t-il pas – dans cet ordre d’idées – aujourd’hui une volonté de faire adorer la Terre-Mère, idolâtrée dans un nouveau panthéisme qui fait de la « Planète » l’objet des louanges et des sacrifices imposés à chacun ?
— La gnose, la connaissance, comme je l’ai déjà dit, est cette connaissance que Dieu n’a pas voulu donner aux hommes et qu’à l’inverse, le « grand tentateur » prétendait leur donner. C’est exactement ce qu’a essayé le serpent avec Eve… Le serpent s’est réfugié, il s’est incorporé dans la terre mère. La terre devient ainsi une divinité à protéger contre l’homme qui veut l’utiliser en la soumettant, et contre la religion qui justifie la soumission naturelle que l’homme doit en faire. Appelée terre mère, ou Sophia, ou par d’autres noms – elle devient le divin. L’homme « perfide » lui fait du mal. L’idée est alors de d’éliminer l’homme. Il y a quelques années on l’a tenté par le néomalthusianisme (qui n’a pas fonctionné, il a au contraire créé la crise en cours) ; aujourd’hui c’est plus directement, par l’environnementalisme (un problème créé par le néomalthusianisme), que les habituels gnostiques exaltent encore plus sur le plan médiatique grâce à l’Encyclique. La prochaine phase ne pourra être autre chose qu’une autorisation de la « chasse à l’homme ».
— Pour évoquer maintenant un autre sujet très actuel : quelle est la juste réponse à la « crise des migrants » ?
— Quels migrants ? Venant d’où ? Nous disposons de diverses classifications pour parler du processus des migrations. Celles-ci vont des véritables réfugiés fuyant la guerre, aux migrants à la recherche de solutions économiques, aux terroristes déguisés en migrants, en passant par les « évangélisateurs » des religions qui doivent entrer en Europe pour chercher à la conquérir après avoir subi diverses défaites au cours de l’histoire ; et enfin aux migrants « soutenus » politiquement pour compenser le déficit de population qui s’est créé en Europe ces trente dernières années, etc. Pour chaque classification, il y a une réponse différente. Mais le problème n’est pas seulement de savoir quelle est la réponse juste, il est de savoir qui décide et ce qui se passe si une nation (encore souveraine) en décide autrement.
— « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît » : êtes-vous d’accord pour dire que ce commandement et cette promesse du Christ ont un sens précis et urgent pour la vie politique, économique et sociale ?
— Ce sera ma réponse finale : pour détruire l’homme il suffit de l’éloigner de Dieu… C’est ainsi qu’il perd le sens de la vie, le sens de l’action, et qu’il se perd : les moyens deviennent des fins et vice versa, on sépare la foi et les œuvres, on perd l’unité de la vie… Mais à qui revient la responsabilité de tout cela ? Qui doit enseigner le sens de la vie ? Est-il donc possible que nous autres, pauvres laïcs, nous devions rappeler aux pasteurs qu’ils doivent nous protéger des loups ? Aujourd’hui comment peut-on penser, sans prier pour obtenir un miracle, que celui qui n’a pas su l’enseigner depuis des décennies va apprendre à le faire demain matin, par enchantement ? Désolé, mais je crois davantage aux miracles : allons donc tous à Lourdes, Fatima ou Medjugorje…
Propos recueillis par Jeanne Smits

• Voulez-vous être tenu au courant des informations originales paraissant sur ce blog ? Abonnez-vous gratuitement à la lettre d'informations. Vous recevrez au maximum un courriel par jour. S'abonner




© leblogdejeannesmits



Aucun commentaire:

 
[]