18 janvier, 2014

Des questions autour de l’ordonnance en faveur de la vie de Vincent Lambert

Réponses aux questions d’un lecteur

Q. – Kariger se dit contre l’euthanasie, pour lui le cas Vincent Lambert relève de la loi Leonetti et il ne s’agit donc pas d’une euthanasie. Alors ?

R. – La frontière entre l’euthanasie et la « sédation terminale » avec cessation de l’alimentation et de l’hydratation est parfois bien ténue et se juge au cas par cas.

Elle consiste, lorsqu’elle correspond effectivement à une démarche juste, à endormir très profondément un patient arrivé à une très douloureuse agonie et qui va mourir.

Elle est parfois ? souvent ? utilisée en vue d’obtenir la mort : on décide que le patient a assez vécu, qu’il n’y a plus rien à faire, on cesse de l’alimenter et de l’hydrater et on l’endort profondément avec la certitude que la mort interviendra dans les quinze jours.

Tout est donc question d’intention et dépend des circonstances concernant le patient. Cela peut être bien, cela peut être assassin.

Ainsi Vincent Lambert n’est ni malade (contrairement à ce que prétend le Dr Kariger) ni en fin de vie, mais lourdement handicapé, ayant la perception de ce qui se passe autour de lui. Il ne peut communiquer de manière compréhensible mais il est vivant, bien vivant, il est capable de partir chez ses parents, il ne nécessite aucun traitement médical, seulement des soins, parmi lesquels l’alimentation qui lui est administrée artificiellement pour éviter les fausses routes.

Le tribunal a jugé qu’il n’était pas en état de survie « artificielle », ou « artificiellement maintenu en vie ».

Si on lui supprime son alimentation, il ne mourra pas d’une affection qu’il a déjà et que cette alimentation permet de juguler, mais de faim et de soif, comme vous et moi mourrions si l’on nous supprimait le boire et le manger.

Q. – Remettez-vous en question la loi Leonetti, et (ou) l’interprétation qu’en fait E. Kariger ?

R. – La loi Leonetti est un ensemble simple d’amendements et d’ajouts apportés au code de la santé publique. Si on s’en tient à l’exacte lettre de la loi, elle ne s’applique pas au cas Lambert qui n’est pas en fin de vie. Cela exigerait des développements techniques : c’est une question de formulation précise de la loi.

Donc, oui, je remets en cause l’interprétation qu’en fait Kariger… mais aussi Leonetti, parce qu’elle ne correspond pas à l’interprétation stricte de sa loi.

Je pense en effet que cette interprétation est celle voulue par Leonetti depuis le début. C’est si vrai que lorsqu’on lit les travaux préparatoires, ce que j’avais fait avant le vote de la loi, on perçoit bien qu’elle cherche à légaliser (c’était juste après l’affaire Vincent Humbert) l’arrêt de nourriture pour offrir une porte de sortie euthanasique discrète aux personnes non pas « en fin de vie », mais gravement handicapées, conscientes ou non. Ces travaux parlementaires excluaient l’arrêt de l’hydratation, considéré comme trop cruel. Celui-ci a été préconisé (dans la suite de l’affaire Hervé Pierra) par Leonetti en 2008 dans un rapport d’évaluation de sa propre loi qui est invoqué par Kariger et par les avocats pour la mort de Vincent Lambert. Mais le rapport n’est pas la loi.

Cela dit, dès avant le vote en 2005, j’ai écrit dans Présent que la loi Leonetti était déjà une loi d’euthanasie, et je le pense encore. C’était aussi l’avis d’Yves Daoudal. Nous nous sommes trouvés bien seuls, car la plupart des commentateurs saluaient le caractère respectueux de la vie de cette loi qui est la seule de la Ve République à avoir été adoptée à l’unanimité. Mais, de mémoire, il y a eu assez rapidement quelques discrètes analyses en ce sens de la part de l’Eglise de France.

Beaucoup plus spectaculaire : en 2007, Mgr Vingt-Trois et le grand rabbin David Messas publiaient un texte fort apportant ce même éclairage inquiet.

Q. – Comment définiriez-vous un acharnement thérapeutique ? Dans quel cas diriez-vous qu’il n’y aurait pas d’acharnement thérapeutique ? Même en respectant la dignité humaine de sa conception à sa mort naturelle, beaucoup de cas relèvent aujourd’hui de l’avancée de la médecine et de l’assistance médicale qui n’existait pas il y a 50 ans… On tend à présenter ceux qui luttent sur le devant de la scène contre l’euthanasie comme « idéologues » de l’acharnement thérapeutique. Ne faut-il pas communiquer là-dessus ?

R. – L’acharnement thérapeutique consiste, il me semble, à imposer des traitements ou des recherches qui font plus de mal que de bien : qui font inutilement souffrir alors que la mort est inéluctable.

Etre contre l’euthanasie, ce n’est pas prôner l’acharnement, c’est demander que le médecin ne prenne pas une décision qui a pour objectif de provoquer ou de hâter la mort. En revanche il peut donner un médicament pour soulager une forte souffrance, quitte à risquer de hâter la mort. Rien d’idéologique là-dedans. Et oui, il faut communiquer là-dessus.

Q. – Ne croyez-vous pas que ce jugement va augmenter la détermination de ceux qui prônent l’euthanasie ?

R. Oui, ceux qui prônent l’euthanasie font feu de tout bois. Et cela les rend furieux qu’une euthanasie ait été aujourd’hui empêchée. Mais il y avait une vie à sauver et à l’inverse, cela permet aussi de montrer l’hypocrisie de la loi Leonetti.

Q. – Comment en est-on arrivé à un jugement autant médiatisé ?

R. – Le jugement a été très médiatisé parce que Kariger, parmi d’autres partisans de la mort de Vincent Lambert, s’est répandu dans la presse en imposant son point de vue. Il est vrai que Présent a dégainé le premier, avant même la décision d’engager un premier référé en mai, mais croyez bien que s’il n’y avait eu que Présent, on n’en aurait pas tellement parlé. La presse locale de Reims s’est emparée de l’affaire et les prises de position idéologiques ont fait le reste.

Q. – Du côté de l’Eglise, y a-t-il eu un texte qui dit que l’alimentation n’est pas un traitement mais normale dans tous les cas ?

R. – La Congrégation pour la doctrine de la foi s’est prononcée sur le refus d’alimentation pour faire mourir, Jean-Paul II l’a appelé « euthanasie par omission » au moment de l’affaire Terri Schiavo aux Etats-Unis en 2005 – or Terri Schiavo ne bénéficiait même pas d’un diagnostic de « conscience minimale plus ». Ne pas nourrir – parce que la nourriture est un soin ordinaire, toujours dû – n’est autorisé que lorsque la nourriture ne remplit plus son rôle, fait souffrir inutilement ou n’a pas de sens (patient à l’agonie).

Ledit document, daté du 1er août 2007, répondant aux questions des évêques des Etats-Unis, donne un éclairage très précis sur la question de l’alimentation et de l’hydratation artificielles. Voir le texte suivant. – J.S.


Réponses aux questions de la Conférence épiscopale des Etats-Unis concernant l’alimentation et l’hydratation artificielles 
Première question : L’administration de nourriture et d’eau (par des voies naturelles ou artificielles) au patient en « état végétatif », à moins que ces aliments ne puissent pas être assimilés par le corps du patient ou qu’ils ne puissent pas lui être administrés sans causer une privation grave sur le plan physique, est-elle moralement obligatoire ? 
Réponse : Oui. L’administration de nourriture et d’eau, même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie. Elle est donc obligatoire dans la mesure et jusqu’au moment où elle montre qu’elle atteint sa finalité propre, qui consiste à hydrater et à nourrir le patient. On évite de la sorte les souffrances et la mort dues à l’inanition et à la déshydratation.
Seconde question : Peut-on interrompre la nourriture et l’hydratation fournies par voies artificielles à un patient en « état végétatif permanent », lorsque des médecins compétents jugent avec la certitude morale que le patient ne reprendra jamais conscience ? 
Réponse : Non. Un patient en « état végétatif permanent » est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale, à laquelle on doit donc procurer les soins ordinaires et proportionnés, qui comprennent, en règle générale, l’administration d’eau et de nourriture, même par voies artificielles. 
Le souverain pontife Benoît XVI, au cours de l’audience accordée au cardinal Préfet soussigné, a approuvé les présentes réponses, décidées par la session ordinaire de la Congrégation, et en a ordonné la publication. 
Rome, le 1er août 2007, au Siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

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