17 novembre, 2013

Fin de vie, euthanasie : Jean Leonetti défend sa loi et sème la confusion

Sourire avantageux, l’air détendu de celui qui parle en terrain de connivence : mardi soir à Neuilly-Saint-Front, Jean Leonetti, député maire d’Antibes, ancien ministre, auteur d’une loi sur la fin de vie qui porte son nom, venait animer une réunion-débat en présence de la fine fleur locale de l’UMP. Rendez-vous improbable devant une cinquantaine de personnes se serrant au centre des gradins amovibles de la sépulcrale salle municipale : pourquoi cette réunion publique a-t-elle déplacé un ponte à la fois médical et politique – Leonetti est tout de même vice-président de l’UMP – dans un bourg un peu perdu de 2.000 âmes ?

La réponse se trouve dans l’identité de l’ancien député de l’Aisne, Isabelle Vasseur : infirmière de profession, elle a collaboré à l’Assemblée avec Jean Leonetti à la présentation de textes sur la dépendance. Leonetti est venu en ami. En apôtre aussi : mais apôtre d’une doctrine de sables mouvants. Il est là, dit-il, avant de commencer et pour conclure, non pour apporter des réponses à des questions, mais pour susciter des « questionnements ». Son rêve ? Que l’auditoire quitte la salle dépouillé de ses certitudes sur « la dépendance, la fin de vie, les soins palliatifs » pour se plonger dans une « complexité » propre à faire comprendre qu’il y a des cheminements différents, des réponses diverses, des raisons toujours de se méfier des lois trop précises et des recettes toutes faites. Un relativisme qui débouche sur la confusion, la disparition des repères moraux.

« Le droit de ne pas souffrir »

Ce sont des amis sur place qui m’ont invitée à les accompagner dans cette réunion où l’on découvrira Jean Leonetti tel qu’en lui-même. La perspective était alléchante et je n’ai pas résisté. Car d’une part il y a le fin philosophe, l’éthicien de talent qui a réussi à faire une loi de fin de vie saluée – y compris par les catholiques dans leur grande majorité – comme ayant fermé la porte à l’euthanasie, et votée à l’unanimité ; de l’autre, moins mis en avant, le promoteur clandestin de « l’euthanasie par omission » dont la loi autorise de cesser de nourrir un patient pour qu’il meure.

Le pivot de sa loi – telle qu’il la défend devant son auditoire choisi – est le refus de la souffrance. « Le droit de ne pas souffrir en fin de vie est ce droit opposable de dormir, s’il le faut, avant de mourir » : voilà qui justifie les sédations lourdes, les doses de morphine qui peuvent même hâter la mort lorsque l’agonisant est accablé de douleurs insupportables ou que ses dernières heures sont marquées par l’angoisse des étouffements…

Passons, pour l’instant, sur le « droit » de ne pas souffrir, notion à la fois irréelle et excessive. Oui, le médecin se sent ou devrait se sentir le devoir de tout faire, sauf tuer, pour soulager le malade qu’il ne peut plus guérir, et c’est de la bonne doctrine que de distinguer entre la volonté d’atténuer la douleur, quitte à hâter un peu la mort, et celle de donner celle-ci volontairement.

Les arguments de Leonetti pour en venir là, devant un auditoire qu’il tient en haleine avec anecdotes et contre-exemples, sont moins nets. Car en fait il va insister non sur le cas des mourants à court terme, – ceux dont on dit parfois « Il aurait mieux valu qu’il meure avant, c’est la bonne question » – mais sur celui des diminués par les maladies neurovégétatives, par les accidents cérébraux, la démence. « Le vrai problème est d’éviter la survie sans raison de ceux qu’on aime. »

Non à la transgression

Au fil des raisonnements qui tirent à hue et à dia, une image générale va surgir du discours de Leonetti dont je rapproche ici à dessein des citations qui ne s’y suivaient pas : il y a d’une part l’éthique, le devoir de la loi d’interdire la transgression. « Ne demandez pas à la société de faire le mal, de tuer », parce qu’« il n’y a rien comme valeur au-dessus de la vie », la vie humaine, d’ailleurs « à partir du moment où le singe a enterré ses morts il est devenu un homme » car il signifie alors sa conscience de ce qu’il va lui-même mourir. C’est « l’éthique de la vulnérabilité », dit-il, en face de « l’éthique de l’autonomie » qui est, en gros, le « droit de se jeter dans la Seine » de celui qui s’apprend atteint d’un Alzheimer déjà avancé. « Je veux mourir avant ! C’est ma liberté. »

Et cette liberté, il ne faut pas la codifier, fait comprendre Leonetti, encore moins l’organiser (comme par le suicide assisté en Suisse) parce qu’une telle loi obligerait la société à ne plus reconnaître la dignité qui est en chaque homme. Et qu’elle pèserait sur les libertés individuelles : oserait-on encore aller se faire soigner d’un Alzheimer si celui-ci justifie de mettre fin à la vie ? « C’est un droit liberté, pas un droit créance ! »

Le relativisme qui se glisse dans ce raisonnement explique le versant contraire de la conférence de Leonetti. Il posera d’emblée la question : « Toute vie est-elle semblable ? » pour ajouter plus loin : « Faut-il réanimer une vie qui ne semble pas possible ? » Et lui qui dénonce l’euthanasie des enfants en Belgique explique sur le même ton plaisant que la réanimation néonatale sur un enfant qui a des lésions cérébrales majeures, « une personne humaine mais qui n’a pas une vie relationnelle », pose des problèmes : « Je dois essayer de garder la vie mais je ne dois pas prolonger cette vie, je dois arrêter cette survie intolérable : j’arrête la survie mais je ne donne pas la mort. »

Et Vincent Lambert ?

Nous voici arrivés à l’idée de « sédation terminale » avec arrêt de l’alimentation qui, dans les pays d’euthanasie, se répand bien plus vite encore que l’euthanasie elle-même. Je pose à Jean Leonetti la question de cette pratique peu nette. Leonetti sait faire les distinctions morales qui s’imposent : oui, on peut endormir profondément un patient sur le point de mourir et cesser de le nourrir. Mais la « sédation terminale à but terminal », celle qu’on met en place pour faire mourir ? « C’est un acte euthanasique », posé « parce qu’on n’ose pas faire l’euthanasie ».

Mais alors, Vincent Lambert, qui est en état de conscience minimale et que son médecin veut mettre « en fin de vie » en cessant de l’alimenter, est menacé d’euthanasie, proclame ma voisine.

« Il est en état végétatif », rétorque Leonetti (ce qui n’est pas vrai). « La loi Leonetti oblige le médecin à annuler la souffrance », s’il consulte les proches et respecte le devoir d’interroger « sa collégialité », c’est l’équipe médicale qui peut décider de mettre fin à la « survie artificielle » de Vincent Lambert qui n’est pas en état d’exprimer sa propre volonté. A écouter Leonetti, ce serait même un devoir.

Pourtant il s’agit là d’un arrêt d’alimentation « à but terminal ». Alors ?

Alors – mais m’est avis que les braves auditeurs médecins, ou UMP, ou les deux, ne l’ont pas saisi – c’est qu’il y a des vies dont l’absence de qualité ne permet pas qu’elles se poursuivent, et cela est déjà inscrit dans la loi. Le débat sur l’euthanasie est derrière nous.


Article extrait du n° 7980 de Présent, du vendredi 15 novembre 2013 


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