13 février, 2011

Bioéthique : pour arrêter la dérive…

C’est exactement ça : une dérive programmée. La France a le courage de se doter d’une loi bioéthique qui encadre et limite les droits des chercheurs et des médecins dans le domaine fondamental de la vie humaine. Mais en même temps, de révision en révision, le législateur laisse passer des transgressions de plus en plus manifestes. Il n’y a pas d’amarre solide à une certitude de référence – pourtant la marque des lois françaises « classiques » est dans la concision et la clarté de ces principes juridiques, qui permettent de faire l’économie de longues descriptions et d’énumérations qui limitent en réalité le champ de la loi. Plus on rentre dans les détails, plus on perd de vue l’essentiel, et plus on court le risque de laisser des portes ouvertes parce que telle éventualité, et, dans le cas qui nous préoccupe, telle nouvelle technique n’auront pas été imaginées.

Le principe était pourtant simple. Et le droit français le respecte dans le domaine successoral. Il remonte à l’Antiquité, au temps où l’on ne savait pas ce qu’est exactement l’enfant à naître dans le sein de sa mère, et il aurait permis de régler par avance tous les problèmes : Infans conceptus pro natus habetur quoties de commodis ejus agitur – l’enfant conçu est tenu pour déjà né chaque fois qu’il y va de ses intérêts. Principe raisonnable et non confessionnel s’il en est : c’est une fiction juridique qui – déjà ! – pose, il y a plus de 2 000 ans, une sorte de principe de précaution. Vous pouvez croire ou non que l’enfant conçu, l’embryon, est une personne. Mais vous ne pouvez pas faire comme s’il n’était pas un être humain, un sujet de droit, à qui sont dus le respect de l’intégrité de sa vie, et la protection face aux mauvais traitements.

Les députés, réunis pour un passionnant débat au Palais Bourbon, ont achevé dans la nuit de jeudi à vendredi l’examen des amendements proposés au projet de révision des lois bioéthiques, en attendant une adoption solennelle prévue pour mardi prochain. Débat passionnant parce qu’on s’y est réellement battu contre les dérives de la culture de mort, de l’eugénisme, de la chosification de l’être humain, mais débat à la marge où des députés courageux ne pouvaient qu’essayer d’élever des digues ponctuelles face à des scientifiques et des politiques fascinés par le pouvoir sur l’homme, ou animés d’une « compassion » dont ils ne mesurent pas les dangers, ni les erreurs.

Sans coup de théâtre d’ici à mardi, ont donc été adoptés des amendements aggravant le sort du tout-petit d’homme. La recherche sur l’embryon, interdit en principe, bénéficiera d’autorisations plus larges de la part de l’Agence de biomédecine. La procréation médicalement assistée (PMA), qui permet de fabriquer des embryons en éprouvette, sera ouverte aux couples non stables. Le don d’ovocytes (sperme et ovules), maintenu anonyme contrairement à la proposition de Roselyne Bachelot, sera possible pour les hommes et les femmes n’ayant jamais eu d’enfants. Et pour améliorer les stocks, sans doute – alors que 150 000 embryons humains sont déjà gardés « hors du temps » en France dans leurs cuves d’azote – une technique de congélation plus efficace, la vitrification, a été approuvée. Rejetée, la proposition de ne laisser féconder que trois ovules par PMA, ce qui aurait limité le nombre d’embryons détruits ou conservés : cette limitation paraissait « dramatique » à Bernard Debré qui ne voit pas « au nom de quoi on limiterait le nombre d’embryons à féconder ». Jouer avec la vie de l’homme, cela anesthésie très efficacement.

Le diagnostic prénatal est lui aussi conforté, dans une moindre mesure que celle voulue par le gouvernement mais tout de même avec une nouvelle obligation faite au médecin de proposer tout examen, relative à une condition susceptible de « modifier » le cours de la grossesse, « lorsque les conditions médicales le nécessitent ».

A ce propos on a voulu faire croire qu’on récuse l’accusation d’eugénisme (comme celle portée par Marc Le Fur) : Xavier Bertrand a voulu prouver l’absence de celui-ci en indiquant que « sur 6 876 IMG il y a 505 dépistages de trisomie : cela prouve que ce n’est pas la trisomie qui mène à une IMG ». En fait, ce n’est pas seulement la trisomie. Mais 96 % des trisomiques sont victimes d’avortements tardifs. Les opposants ont cependant obtenu, et c’est nouveau, une information des femmes pour qu’elles puissent connaître des familles ayant accueilli des enfants handicapés, et un délai de réflexion d’une semaine.
Pendant les débats, les accusations de catho-intégrisme ont fusé de la part des partisans de gauche de la dérive bioéthique. C’est ainsi qu’on veut faire taire la voix de la vie. Raison de plus pour la faire entendre plus fort.


Article paru dans Présent daté du 12 février 2011

Aucun commentaire:

 
[]