08 février, 2010

Affaire de Recife : le texte intégral de l'interview donnée par Mgr Cardoso à “Présent” en mai 2009

Puisque l'affaire de la petite fille de Recife revient à l'ordre du jour je voudrais contribuer à compléter le dossier sur l'internet francophone en publiant l'intégralité de l'interview accordée par Mgr Cardoso Sobrinho au journal Présent le vendredi 29 mai 2009 (publiée sur ce blog en anglais ici). D'après LifeSite, l'Académie pontificale pour la Vie joue ces jours-ci son avenir, son habituelle réunion publique ayant été annulée cette année en faveur d'une réunion à huis-clos.

Un universitaire philosophe membre de l'APV, qui a préféré garder l'anonymat, a déclaré à LifeSite qu'une profonde division s'est déclarée au sein de l'Académie, provoquant une « perte de confiance » relaitf à un problème « doctrinal, moral et canonique », depuis qu'une lettre de son président Mgr Rino Fisichella a laissé croire que des médecins avaient correctement agi en pratiquant un avortement sur la fillette brésilienne de 9 ans d'Alagoinha enceinte de jumeaux à la suite de viols répétés commis par l'amant de sa mère.

Cet universitaire assure que la plupart des membres de l'APV étaient restés silencieux, et que quelques-uns avaient approuvé la démarche de Fisichella, ce qui ne concorde pas avec ce que m'avait confié il y a quelques mois Mgr Schooyans qui faisait état de la fronde de 26 des 40 membres permanents de l'APV contre leur président. Quoi qu'il en soit l'universitaire estime que « l'avenir de l'Académie est en jeu », ce qui correspond à l'analyse d'alors de Mgr Schooyans qui voyait dans l'affaire une manière de la décrédibiliser tout à fait.

Voici donc, pour mémoire, l'interview que j'avait faite de Mgr Cardoso Sobrinho :

Présent, Vendredi 29 mai 2009


L’affaire de la petite fille brésilienne

Avortement, excommunication, bien commun de l’Eglise

Mgr Cardoso Sobrinho répond aux questions de “Présent”

— Après l’affaire de la petite fille violée d’Alagoinha, et le désaveu par L’Osservatore Romano de vos déclarations sur l’excommunication automatique de ceux qui ont décidé ou pratiqué son avortement, une tendance se dessine dans les médias pour dire que la doctrine de l’Eglise a changé sur la question de savoir si l’avortement en cas de danger de mort ou d’autres circonstances particulières est un mal, est un péché. D’un autre côté, les mensonges médiatiques qui ont entouré cette affaire ont été particulièrement nombreux et graves, même si beaucoup de personnes vous ont exprimé leur admiration. Voudriez-vous nous expliquer ce qui s’est réellement passé ?

— Je tiens avant tout à remercier, et dire ma profonde gratitude, à ceux qui m’ont soutenu. J’ai reçu des messages, des centaines de messages de solidarité, du monde entier : de prêtres, d’évêques, de laïcs, qui approuvent mon choix d’avoir parlé clair sur la loi actuelle de l’Eglise. J’ai reçu un prix de Human Life International, et tout récemment encore un autre prix de l’association Pro Vida de São Paolo. Grâce à Dieu, donc, beaucoup de personnes approuvent ma démarche.

Cependant il y a quelques personnes, en France, au Canada, y compris des évêques, qui ont écrit des articles pour dire leur désaccord. Dans un esprit de dialogue, je voudrais d’abord dire qu’il n’est pas vrai de dire que nous – c’est-à-dire moi-même, mais aussi le curé de la petite fille – n’avons pas fait preuve d’une particulière attention à son égard. Nous avons donné toute notre attention et tous nos soins à la fillette enceinte. Ce qui a été malheureusement publié n’est tout simplement pas vrai : nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour l’aider.

Certains, lorsqu’ils parlent de la publicité donnée à cette affaire, affirment qu’il n’était pas « opportun » de parler d’excommunication. Je ne suis pas d’accord avec ce point de vue. On me dit presque qu’il aurait fallu oublier ce que dit le Droit canon à propos de l’excommunication. Mon opinion est différente. Je dis que cette loi existe pour le bien de l’Eglise. Et ce n’est pas moi qui ai excommunié quiconque, comme je l’ai répété maintes fois. Ceux qui m’accusent affirment que c’est moi qui ai « excommunié », et c’est totalement faux : j’ai simplement attiré l’attention sur une loi qui existe dans l’Eglise, le canon 1398. Et je me demande : convient-il de faire silence, comme beaucoup le prétendent ? Aurait-il mieux valu que je ne parle pas du tout d’excommunication ? Eh bien, je réponds que je ne suis pas d’accord. C’est une loi de l’Eglise, pour le bien de l’Eglise. Elle existe depuis plusieurs siècles. Le nouveau Code de droit canonique, promulgué en 1983 par le serviteur de Dieu Jean-Paul II, réitère cette loi, tout comme le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié par le même pape en 1992, répète cette loi et la commente. Vaudrait-il donc mieux se taire ? Eh bien, à mon avis, il est de la plus haute importance d’attirer l’attention de tous et surtout des fidèles catholiques sur la gravité du crime de l’avortement. C’est pour cela que la loi existe. Nous autres, dans notre diocèse, avons reçu tant de messages de tant de personnes qui me disent : « Aujourd’hui, je comprends mieux la gravité de l’avortement, et je vais changer ma conscience. » A mon avis, le fait d’attirer l’attention sur l’existence de cette excommunication produit un bien spirituel chez les fidèles catholiques, mais aussi chez les autres qui réalisent en apparence tranquillement des avortements et qui vont désormais, je le crois, peser dans leur conscience la gravité de ce qu’ils font. Et telle est la finalité de cette loi de l’Eglise, de cette pénalité d’excommunication : elle est médicinale. C’est un remède en vue de la conversion de tous. Et pour la personne qui l’encourt, un moyen de lui faire comprendre qu’elle va devoir répondre de son acte devant Dieu. Avec l’Eglise, nous désirons que tous, même ceux qui suivent aujourd’hui un chemin d’erreur, se remettent à vivre en accord avec la loi de Dieu. Nous ne voulons la condamnation éternelle de personne. A mon avis, le silence – ne pas parler d’excommunication – causerait un grave tort à l’Eglise.

Plus encore, j’ai l’impression que certains parmi ceux qui s’expriment contre moi sont quasiment en train d’insinuer qu’il vaudrait mieux abroger le canon de l’excommunication. Mais l’Eglise ne pense pas cela. L’Eglise maintient cette loi, parce que pour le bien commun de l’Eglise, il est nécessaire, quand il s’agit de délits gravissimes, qu’il y ait une loi claire, et que cette pénalité soit appliquée. Ce sont des principes d’une très grande importance. Pour moi, le silence équivaudrait à de la complicité. Nous savons – les journaux du monde entier l’affirment – qu’il se pratique chaque année dans le monde quelque 50 millions d’avortements. Ici au Brésil, on parle d’environ un million d’avortements tous les ans. J’ai dans ma conscience la conviction qu’il faut parler, réveiller la conscience de tous, parce que le silence peut être interprété comme une approbation.

— Dans une conversation avec le professeur Joseph Seifert, qui s’est exprimé dans les médias pour prendre votre défense, celui-ci a décrit l’excommunication comme une « charité » à l’égard de celui qu’elle vise, pour lui faire prendre conscience du tort qu’il subit dans sa vie spirituelle. Emploieriez-vous cette expression ?

— C’est un remède spirituel. L’Eglise est investie d’une mission, qui est de mener tous les hommes au salut éternel, et de les faire vivre dans la grâce de Dieu. De fait, il est des personnes qui font « tranquillement » des avortements, et qui disent tout aussi tranquillement qu’elles vont continuer. Nous autres, en tant que catholiques, et surtout les pasteurs de l’Eglise, ne pouvons rester silencieux, comme si tout cela était très bien. C’est pourquoi je répète que ne pas parler, ne pas attirer l’attention sur la gravité, sur le sérieux de ce problème, et surtout sur le fait que l’Eglise, pour le bien commun, applique cette pénalité, serait de la complicité. Cela reviendrait quasiment à accepter cette situation si grave.

Ici au Brésil, on est en train de préparer une loi de légalisation de l’avortement. Nous, les catholiques, devons parler en premier lieu de la responsabilité morale. Il y a évidemment des catholiques dans notre Parlement qui défendent la loi de Dieu, mais il y en a d’autres qui soutiennent ce projet, à commencer par le président de la République. Nous ne pouvons pas rester silencieux !

— Lorsque vous avez parlé d’excommunication automatique de la mère de la fillette et des médecins participant à l’avortement, l’avez-vous fait avant ou après le moment où celui-ci fut accompli ?

— J’en ai parlé avant et après, comme cela a été clairement exprimé dans la note publiée par l’archidiocèse de Recife en réponse à l’article de Mgr Fisichella : dès le 3 mars, veille du jour où l’avortement fut accompli, j’évoquai devant des journalistes la « peine médicinale » du canon 1398. Malheureusement, l’article de Mgr Fisichella affirme que la première fois où je m’exprimai devant la presse sur cette affaire, je n’ai parlé que d’excommunication. Cela est totalement faux. J’ai parlé plusieurs fois parce que cette affaire d’une fillette de neuf ans enceinte avait attiré l’attention de toute la presse. Et surtout, nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour sauver trois vies : pas seulement celle de la petite fille, mais les trois vies. Lorsque pour finir l’avortement a eu lieu, j’ai rappelé simplement une nouvelle fois quelle est la loi de l’Eglise. Toute personne qui – en pleine conscience évidemment – commet des avortements est excommuniée : voilà le sens de ma déclaration.

— Est-il vrai que la petite fille était rachitique, ou dénutrie ?

— Pas du tout ! Cette petite fille enceinte, même lorsqu’elle fut hospitalisée, vivait avec d’autres enfants et jouait avec eux ; elle vivait une vie normale d’enfant.

— Savait-elle qu’elle attendait deux enfants ?

— Oui, évidemment ! Non seulement elle le savait, mais elle disait qu’un de ses enfants serait pour un membre de sa famille, et l’autre pour elle pour qu’ils puissent jouer ensemble. On a su par la suite qu’il s’agissait de deux petites filles…

— On dit que le père légitime de la petite fille, qui était opposé à l’avortement, est un chrétien évangélique. Est-ce vrai ?

— Oui, c’est vrai, il n’est pas catholique. Cela dit, il était totalement avec nous. Je l’ai reçu ici dans ma maison toute une journée ; il n’acceptait pas l’avortement.

— Il y a eu beaucoup d’émotion…

— Oui. Il est venu de sa petite ville d’Alagoinha qui est à 230 km d’ici. Il est resté avec nous : avec moi, avec le P. Edson Rodrigues qui est le curé de sa paroisse, avec mon avocat, avec le président des tribunaux d’ici pour voir s’il était possible d’intervenir avant l’avortement, pour voir si nous pouvions l’empêcher par des moyens légaux. Mais comme vous le savez l’avortement a été accompli après que la fillette eut été emmenée à notre insu vers un « centre de santé » habituée à pratiquer cette intervention.

— Y a-t-il eu des manifestations contre l’avortement à proximité de la clinique où se trouvait initialement la fillette ?

— Non, dans les rues pas du tout. En revanche, dans les journaux et à la télévision il y eut beaucoup de pressions pour l’avortement, et des associations « féministes », comme vous le savez, sont intervenues pour promouvoir l’avortement de la fillette.

— La fillette a-t-elle été à aucun moment en danger de mort ?

— Non, jamais. Les médecins me l’ont affirmé explicitement.

— Mais si elle avait été en danger de mort, l’avortement n’aurait pas été justifié pour autant…

— Cette éventualité a été clairement envisagée par les médecins. Ils espéraient qu’à six mois de grossesse, il serait possible de pratiquer une césarienne. Mais comme ce groupe de « féministes » voulait l’avortement, ils sont venus à l’IMIP (Institut maternel et infantile de Pernambuco) où la fillette était hospitalisée pour l’emmener vers l’autre « centre de santé » et l’avortement a été pratiqué dans les heures suivant son arrivée. Ils l’ont embarquée le soir et dès le lendemain, l’intervention s’est achevée vers 10 heures du matin. C’est une clinique dont on sait très bien par ici qu’elle pratique habituellement des avortements.

Il m’importe beaucoup de rappeler que les médecins qui ont réalisé l’avortement ont déclaré qu’ils pratiquent des avortements depuis longtemps, et avec « fierté ». Et ils affirment qu’ils continueront. Nous ne pouvons rester silencieux face à cela. Et nous pouvons encore moins affirmer qu’il y avait un « doute », comme l’a malheureusement écrit Mgr Fisichella. Il affirmait que nul ne sait si au moment d’agir le médecin n’avait pas eu des doutes sur ce qu’il devait faire ou ne pas faire : nous savons au contraire que ces médecins ont déclaré publiquement qu’ils vivent en pratiquant des avortements et qu’ils n’ont aucun « doute » à ce sujet. Ils veulent continuer à le faire.

Il y a évidemment ici d’autres médecins catholiques qui affirment à l’inverse qu’ils ne pratiquent pas l’avortement parce qu’ils croient en Dieu et respectent sa loi.

Monseigneur, auriez-vous réagi autrement si la petite fille avait véritablement été en péril de mort ?

— Non, pas du tout. Nous savons que même en cas de danger de mort, l’avortement n’est jamais licite. C’est la loi de Dieu telle que l’Eglise la proclame. Même en cas de danger de mort, il fallait attendre l’évolution naturelle des choses, et tenter de sauver les trois vies. C’est un principe fondamental de la loi de Dieu et aussi de la loi naturelle : la fin ne justifie pas les moyens. Je peux avoir un objectif excellent : sauver la vie de la petite fille enceinte ; mais le moyen pour parvenir à cette fin ne peut en aucun cas être la suppression de deux vies innocentes. C’est un principe naturel que la logique humaine peut comprendre. Pour évoquer un exemple que je donne ici au Brésil pour me faire comprendre : si je veux trouver de la nourriture pour la donner aux pauvres, et nous en avons tant ici, je n’ai pas le droit pour cela de braquer une banque, de prendre l’argent des autres pour faire une œuvre bonne.

Et comme l’a dit mon équipe d’assesseurs – le vicaire général, mon avocat catholique et les autres signataires de la note que j’évoquais plus haut – il ne nous appartient pas de changer la loi de Dieu, même si l’opinion publique suit un autre chemin. Notre mission, si importante, est de la proclamer pour tous, même dans les cas comme celui-ci où cela n’est pas facile.

Il faut bien le comprendre : dès les tout premiers siècles, il y a eu des lois d’excommunication dans l’Eglise. Elles visent à protéger le bien commun de la société ecclésiale : c’est pour cela qu’il faut un droit canonique, l’aspect juridique de l’Eglise en tant que société humaine est indispensable. Nous ne pouvons espérer simplement que chacun suive sa conscience. L’Eglise doit évidemment d’abord prendre soin de la vie spirituelle de chacun, mais le bien commun, au sens technique, est très important aussi : il s’agit d’un environnement adéquat où chacun puisse vivre tranquillement. Les pénalités prévues par le Code de droit canonique ont aussi cette finalité.

— Avez-vous eu connaissance de ce qui se dit à propos de Mgr Fisichella : qu’il a écrit cette note « trompé et forcé » ?

— Cette information m’est arrivée indirectement. Certaines personnes au Brésil, y compris des évêques, ont appelé Mgr Fisichella, et elles me disent qu’il leur a répondu cela : qu’il aurait suivi les indications de supérieurs hiérarchiques.

— Le fait est qu’aujourd’hui la presse internationale en arrive à dire que l’Eglise est d’accord avec les avortements thérapeutiques. Cela me paraît très grave : comment peut-on lutter contre cette impression ?

— C’est notre mission que de proclamer toujours la loi de Dieu. Vous savez qu’en Afrique Benoît XVI a parlé clairement sur des questions morales et que la presse, notamment en France, ne l’a pas accepté. C’est pourtant la mission de l’Eglise : nous ne pouvons pas nous taire pour des raisons de convenance sociale. Dans la liberté démocratique, qui est une bonne chose, il y a abus à vouloir légitimer, même dans le cadre de la loi, des usages ou des actes qui vont contre la loi de Dieu. Notre mission, celle de l’Eglise, est de proclamer la loi de Dieu et l’Evangile de Jésus-Christ, même si ce n’est pas facile.

— Et vos relations avec les autres évêques du Brésil ?

— Elles sont très bonnes. Il y a deux semaines nous étions réunis en Assemblée nationale des évêques à São Paolo : tous les évêques avec qui j’ai parlé m’approuvent ; aucun n’est contre moi. En revanche, j’ai lu ce qu’ont écrit certains évêques français. Il me semble qu’ils ne connaissaient pas toutes les circonstances. Ils ont lu l’article de Mgr Fisichella et ils ont pensé que c’était la vérité.

— Ils sont peut-être aujourd’hui en mesure de constater qu’ils ont réagi sur des informations fausses… Mais comment réparer ?

— Il me semblerait important que L’Osservatore Romano publie mes réponses. C’est ce que nous essayons d’obtenir, et c’est ce que nous avons fait depuis le début. Nous avons envoyé à Rome la réponse de l’archidiocèse à l’article de Mgr Fisichella. C’est un droit naturel que de répondre si quelqu’un publie des choses fausses, pour on ne sait quels motifs : il faut que les lecteurs du journal romain puissent connaître aussi l’autre point de vue.

J’ai quant à moi la conscience tranquille. Je n’attendais pas et je ne souhaitais pas ces répercussions qui ont atteint des dimensions internationales. Je répète que le bien commun de l’Eglise a besoin de ces lois latae sententiae, qui servent d’alerte permanente et qu’elle n’abrogera jamais. Elle a toujours condamné l’avortement et elle a toujours expliqué pourquoi : parce qu’il ne fait pas seulement du tort à la personne mais aussi à toute la société. Aujourd’hui, je le répète, nous en sommes à 1 million d’avortements tous les ans au Brésil, 50 millions dans le monde, et notre silence serait connivence.

Je tiens à vous remercier de m’avoir permis d’exposer ces choses qui me paraissent importantes pour le bien spirituel des âmes. Et je vous prie de dire aux lecteurs de Présent que je les bénis très volontiers.

Propos recueillis par Jeanne Smits
© leblogdejeannesmits.

Aucun commentaire:

 
[]